“Sœurs”, voyage sidéral à travers une fraternité retrouvée
Wajdi Mouawad, directeur de La Colline, réouvre son théâtre avec une création qui poursuit son cycle sur l’intime, après Seuls en 2008. Ici, une femme avocate traverse des étendues neigeuses de Montréal à Ottawa pour donner une conférence sur la médiation politique. La grande comédienne Annick Bergeron donne corps à ce monologue qui prend la forme d’une multiplication de personnages si différents et si proches. Une sacrée performance entre réalisme et fantastique.
L’avion, ça se passe trop vite
Ainsi s’exprime la mère de l’héroïne, Geneviève Bergeron, une brillante avocate qui converse au téléphone avec sa mère alors qu’elle conduit sous une tempête de neige de Montréal à Ottawa, où elle est attendue pour sa conférence sur la médiation politique. Sur l’écran bleuté et vaporeux d’une autoroute saupoudrée de neige s’incruste le croquis blanc d’un habitacle de voiture, balayé par les essuies glaces au son d’une chanson entêtante de la chanteuse Ginette Reno. Réussite de cette belle scénographie d’Emmanuel Clolus avec ces croquis qui viennent se superposer aux toiles du décor, faisant ainsi décoller le réel vers l’imaginaire d’une bande dessinée. Pour l’heure, Geneviève, alias la comédienne Annick Bergeron, s’escrime à faire comprendre à sa maman qu’il lui faut prendre l’avion pour se rendre à l’enterrement de son frère, et qu’elle ne pourra l’accompagner, ayant un vol le lendemain pour le Mali.
Bain de racines
Ruptures inter générationnelles, mémoire morcelée, nostalgie du pays natal, la conversation énergique de l’héroïne avec sa mère nous embarque dans l’univers de Wajdi Mouawad, natif du Liban, exilé au Québec, installé en France, et qui ne cesse de nous plonger dans une mémoire familiale, géographique, striée de tragédies antiques et contemporaines. C’est le fil d’Ariane du spectacle dont la conteuse, Annick Bergeron, elle-même amie intime de Nayla, la soeur ainée de Wajdi, est aussi native de la communauté francophone du Manitoba. Comme une série de poupées russes qui s’emboitent, Geneviève-Annick est aussi à la recherche d’une soeur adoptive amérindienne violoncelliste à Berlin. Visions, parfums, saveurs orientales viennent teinter cette mosaïque bourrée d’émotions qui ne cesse de se réinventer devant nous.
Hôtel interactif
Quand elle arrive dans son hôtel palace d’Otawa, notre héroïne, qui n’a eu de cesse de célébrer les vertus du langage en tant qu’outil principal d’interactions et de médiation, se trouve en prise avec une chambre totalement connectée, dont chaque objet, interrupteur, réfrigérateur, téléphone, est robotisé, obéissant à la voix parlée en Anglais. On assiste donc à une scène hilarante où les objets parlent tous seuls, alors que Genevieve, défendant la langue française, se trouve bannie, écartée, effacée. Bien sûr, sans vous raconter la suite, notre passionnaria de la justice et de langue française percutera une autre dimension, où les nouvelles technologies et les rites anciens entreront en conflit sérieux. Elle sera ainsi dédoublée par un clone oriental, poursuivie par la police et recherchée par Interpol. Une fable en forme de conte fantastique, portée durant deux heures par une comédienne exceptionnelle qui nous embarque avec une énergie formidable.
Hélène Kuttner
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