Sœurs aux Bouffes du Nord, guerre fratricide
Les deux comédiennes Marina Hands et Audrey Bonnet s’affrontent comme sur un ring dans des personnages de sœurs. La voix rude, le corps en tension de guerriers à l’assaut, elles donnent à leurs ressentiments respectifs une forme qui explose les catégories de masculinité et de féminité. Leur révolte touche à l’universalité de ceux qui sont faits pour s’aimer et qui pourtant se déchirent.
Sur le plateau, elles gardent leurs véritables prénoms pour s’interpeller avec violence. C’est donc tantôt « Marina » tantôt « Audrey » que l’on entend nommer. Peu de temps après la mort de leur mère, Audrey arrive avec une valise chez sa sœur Marina, qui est en pleine préparation de conférence sur une thématique ayant trait à l’humanitaire. Inattendue et indésirée, Audrey dérange. Et ce d’autant plus qu’elle vient avec la rage au ventre. Priée aussitôt de partir, elle demeure et commence alors entre les deux sœurs un règlement de comptes. Leur conflit date, comme le dit Marina, de trente ans, autant dire depuis toujours. Dès l’enfance, leur place dans la famille s’est construite dans la rivalité, la jalousie, l’envie, bref, l’amour-haine. L’une et l’autre ont empilé au fond d’elles des monceaux de détestation, des scènes mal vécues entre père et mère et des blessures tellement enfouies qu’elles en débordent jusqu’à pouvoir lancer une « une émeute », ainsi que le prétend Audrey.
Pascal Rambert a eu la certitude de vouloir écrire pour elles ce duo, alors qu’elles répétaient sa pièce Actrice. C’est que Marina Hands et Audrey Bonnet ont toutes deux des statures de comédiennes sans aucun doute à la mesure de cet auteur qui régulièrement est inspiré par des tempéraments d’interprètes auxquels il reste fidèle. C’est bel et bien leur époustouflante force de combattantes qui fait ressortir de bout en bout le caractère démesuré de Soeurs. Egalement metteur en scène, Pascal Rambert les pare d’une tenue vestimentaire sans joliesse, soulignant ainsi la puissance organique qui surgit à travers leurs corps fragiles et sensuels, rehaussés de leurs chevelures qui tournoient le temps d’une danse. Revenant au matériau essentiel du théâtre, corps et voix, il laisse à ses comédiennes toute la place, ne disposant sur le plateau que de multiples chaises multicolores parmi lesquelles elles avancent, elles se dressent prêtes à bondir, puis s’effondrent et repartent.
Le conflit qui est celui de ses deux sœurs se plaque sur celui qui agite le monde contemporain. Dans leurs invectives répétées, elles se reprochent leurs occupations professionnelles, l’une penchée sur la misère du monde l’autre qui s’en écarte mais toutes deux se lançant à la figure les terribles questions actuelles d’accueil de populations ou de rejets fratricides. Le texte accumule des souvenirs familiaux précis, des anecdotes nombreuses où les psychologies se sont nourries de venin. Et finalement, à l’image d’Abel et Caïn, la situation de ces deux sœurs d’aujourd’hui semble porter la terrible fatalité d’un duel né avec le monde et sans fin.
Emilie Darlier-Bournat
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