“So Schnell” inaugure la Danse au Festival de Royaumont
A l’Abbaye de Royaumont, la pièce So Schnell de Dominique Bagouet (1951-1992) revisitée par Catherine Legrand – une de ses plus fidèles interprètes -, a ouvert la programmation Danse du Festival. Dans un cadre d’exception, douze danseuses et danseurs d’âges et de parcours différents ont ravivé l’ultime chef-d’œuvre d’un des plus importants chorégraphes de la danse contemporaine.
La magie est immédiate dans ce décor de plein air. C’est Hervé Robbe, le directeur du Pôle Chorégraphique de Royaumont, et Catherine Legrand, qui ont choisi cet emplacement inédit pour le Festival : les vestiges de l’église abbatiale – la tourelle d’angle du transept Nord de 40 mètres de hauteur – et la Fabrique qui a abrité après la Révolution française une filature de coton.
Si vite !
Le sujet de la pièce est une méditation sur le temps, son titre So Schnell signifie “si vite !” et provient de la Cantate BWV 26 de Bach (1724) aux paroles magnifiques : “Combien vaine, incertaine, est la vie humaine ! Naissant comme le brouillard, bientôt se dissipant, ainsi va notre vie ! (…)” A l’entrée des danseurs sur le plateau-pelouse, l’ambiance sonore est constituée d’un bruitage étonnant. Les bras répondent de plus en plus rapidement sous forme d’hélices. Laurent Gachet a enregistré des machines de l’entreprise textile familiale qui juxtaposait la maison d’enfance de Bagouet. Remixés, ces sons ont formé la composition Jack art song qui est à l’origine des trames de la construction chorégraphique. Cette polyphonie industrielle renvoie aussi à la Fabrique de l’abbaye. L’accompagnement musical dirigé par Thomas Poli alterne entre les jeux sonores et la partition de Bach. Nous entendons les craquements du vinyle enregistré en 1967 avec le chef d’orchestre Karl Richter. Bagouet aimait cette version tonique, enjouée qui contraste avec les paroles sombres et intenses. So Schnell est le reflet de l’existence qui file dans des mouvements amples ou séquencés. Dominique Bagouet se sait condamné à la création de cette pièce foisonnante. A partir de son histoire, il explore une thématique universelle, le passage du temps trop vite écoulé.
Dans la lignée de Bagouet
Les jeux de mains sur le visage marquent l’expressivité des sentiments : joie, gravité, mélancolie… Pendant les moments de silence, les danseurs restent pensifs. Le regard se porte sur l’horizon ou s’ancre dans le sol. L’humour et une certaine étrangeté jaillissent en duos ou en groupes sur un plateau qui s’étire le long de la pelouse, avec des traversées dynamiques et légères. Les interprètes de 21 à 61 ans sont complémentaires par de riches esthétiques corporelles. Une vitalité créative s’associe à la gestuelle perfectionniste inspirée de la danse néo-classique. L’écriture des années 1990 est extrêmement contemporaine.
Dans la lignée de Bagouet, Catherine Legrand accorde une grande confiance aux interprètes qu’elle met au cœur de la pièce, notamment par une mise en relief des mouvements. Elle est à l’écoute de la forme et des intentions. Depuis 2020, elle a gardé les mêmes danseurs qui ont plaisir à se retrouver dans un collectif constructif – ils ne sont pas d’une même compagnie – mais elle est très sollicitée par nombre de danseurs qui souhaitent absolument interpréter cette pièce intemporelle dont elle a conservé la chorégraphie et l’accompagnement musical.
Pour la première journée du Festival de Royaumont, la pluie était annoncée mais elle ne s’est manifestée que le matin pendant les répétitions en présence des visiteurs de l’abbaye – en cette période, les répétitions sont ouvertes à tous et c’est plaisant d’entendre les musiciens devant les ruines de l’église ou d’assister aux répétitions de So Schnell. Cette pièce à l’unique représentation a pu être proposée comme prévu, en plein air, face à un décor majestueux. Revisitée avec élégance et sobriété, c’est un hommage émouvant à un chorégraphe talentueux reconnu par de nouvelles générations d’interprètes.
Fatma Alilate
Autres dates pour la programmation Danse du Festival de Royaumont jusqu’au 2 octobre 2022
Samedi 10/09 à 17h30 Vaca – Anna Chirescu ; Dimanche 11/09 à 14h Vaca – Anna Chirescu
Samedi 17/09 à 14h30 Joule, in situ – Doria Belanger ; Samedi 17/09 à 16h Portraits – Rebecca Journo ; Dimanche 18/09 à 11h30 Main dans la main – Compagnie Affari Esteri ; Dimanche 18/09 à 14h Portraits – Rebecca Journo
Samedi 24/09 à 15h Métropole – Volmir Cordeiro
En parallèle du 10 au 18 septembre Installation Joule de Doria Belanger
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