“Six personnages en quête d’auteur” : le Pirandello magnifique de Marina Hands
La comédienne Marina Hands signe sa première mise en scène avec la captivante pièce de Pirandello, qui avait fait scandale dans les années 1920. Avec l’auteur Fabrice Melquiot qui a réalisé une traduction nouvelle, elle adapte le texte et fait jouer ses acteurs au centre des spectateurs, avec une intimité charnelle qui exacerbe les passions. Ainsi montée, la pièce gagne une fraîcheur et une vérité inédites.
Palpitation du vivant
“Pourquoi choisit-on le théâtre comme endroit de vie plus vivant que la vie même ? Pourquoi allons-nous à la rencontre de l’autre et de nous-mêmes par le prisme de l’imaginaire ? » Telles sont les questions auxquelles Marina Hands, qui vient d’être nommée sociétaire de la Comédie Française, se confronte dans le programme de sa première mise en scène. Dans « Le Silence » de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, la comédienne était sublime de mystère et de profondeur, exprimant le deuil d’un enfant sans aucun mot prononcé. Dans ce même théâtre, le Vieux-Colombier habité par le fantôme bienveillant du metteur en scène Jacques Copeau, une troupe de théâtre arrive pour répéter un spectacle. L’espace est nu, avec des murs au rouge sanglant et impérial. Les lumières sont celles de la salle, chaudes, où sont assis les spectateurs, dans un dispositif bi-frontal qui permet aux acteurs de circuler librement dans les escaliers latéraux. L’Assistante, Coraly Zahonero, installe l’espace, règle les lumières et la musique, puis arrive Nicolas Chupin, l’Acteur, et Claire de La Rüe du Can, l’Actrice, se met au piano. Chacun s’essaie à son personnage avec plus ou moins de grâce et de talent quand déboule le Metteur en scène, personnage extravagant et dépressif, qui traîne son narcissisme de star avec la langueur d’une fin de monde, incarné par Guillaume Gallienne.
Mises en abîmes successives
La grande réussite de la mise en scène, est d’avoir su jouer, dès le début de la pièce, avec l’explosion des cadres de scène et la mise en abîme de la salle de théâtre. Les spectateurs, toutes lampes allumées, ne savent pas si la répétition a commencé, ou s’ils sont dans un faux prologue. Les interprètes passent à l’invective, claquent les portes, s’engueulent. Tout se fait à vue, et chacun assiste aux prémisses d’un spectacle en forme de psychodrame, signé par un auteur italien, Luigi Pirandello ! Soudain débarque une famille singulière et bruyante, six personnages créés par un auteur et qui réclament, eux aussi, de pouvoir incarner leurs vies. Une Mère, Clotilde de Bayser, et son fils, Adrien Simion, accompagnés du Père, Thierry Hancisse, et de la belle-fille, Adeline D’Hermy. Le malheur à noirci le regard fiévreux de ces êtres que le malheur à plongé dans la misère. Et comme extraits d’une page de livre, ils réclament, chacun avec leur propre histoire, avec leur tempérament et leur colère, d’exister et d’être mis en scène avec leur propre histoire.
A chacun sa vérité
Le spectacle prend alors un tournant vertigineux. Qui sont-ils, ces personnages qui demandent à revivre, et pourquoi les comédiens présents à la répétition ne peuvent-ils les incarner à leur tour ? Qui croire ? Et pourquoi ces personnages de fiction viennent-ils dérober la vie elle-même aux acteurs censés la représenter ? Marina Hands dirige ses comédiens avec une subtilité et un doigté prodigieux, en promenant le spectateur sur les montages russes de la vérité et du mensonge. On ne sait plus où on est, qui l’on doit croire, qu’est-ce qui est vrai ! Il faut dire que les acteurs, ici, sont éblouissants de puissance, d’émotion et de sincérité. Thierry Hancisse, Adeline d’Hermy, sont déchirants d’intensité, et ils nous font basculer dans le plus beau de mélodrames. Mais tous les interprètes sont magnifiques. Et c’est bien cela que raconte la pièce, formidablement montée aujourd’hui : la fiction, portée et nourrie par des siècles d’émotions et de vies vécues, reste plus vraie que la réalité dans son ordinaire répétition. Le pouvoir de l’incarnation, le pouvoir des mots et des corps mêlés, est de sublimer et de rendre poétique l’existence, concentrée dans son essence artistique. Un vrai bonheur.
Hélène Kuttner
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