Seuls – Théâtre national de Chaillot
Wajdi Mouawad est le chantre des grandes fresques où se croisent des destins toujours ramenés à leurs origines plus ou moins floues, tout en se projetant dans de nouveaux territoires plus ou moins désirés. Ciels, Incendies, Littoral, sont quelques-uns des spectacles où Wajdi Mouawad a su imposer son univers coloré et vaste, univers remarqué et reconnu notamment depuis 2009 à Avignon suivi de sa trilogie « Le sang des promesses » qui a remporté un large succès.
Né au Liban en 1968, il a vécu en France avant d’être étudiant au Québec puis de revenir dans l’Hexagone où il s’adonne à sa passion du théâtre pour le bonheur d’un public fidèle. Seuls est une étape nouvelle car il apparaît sur scène en solo pendant deux heures, durant lesquelles il passe de l’intimité parlé à une explosion corporelle relayée par son expression de plasticien. Le personnage Harwan apparaît d’abord dans son petit appartement de Montréal, en caleçon, passant des coups de téléphone puis en recevant. Il a la trentaine, il est étudiant et termine une thèse. Un climat s’installe bientôt fissuré par de troublantes réalisations de vidéos qui signalent en très belles séquences le dédoublement du personnage et qui nous emmènent à petits pas dans les arcanes des identités impossibles.
Progressivement, Harwan se cherche et plus il se cherche plus il se perd. Voulant terminer sa thése sur le metteur en scène Robert Lepage, il essaie de le rencontrer, quitte à le rejoindre à Saint-Pétersbourg. Mais, partant sur les traces du maître et se retrouvant enfermé au musée de l’Ermitage, il apprend que son propre père est tombé malade. Et le labyrinthe se complique. Le temps perd ses contours, la plongée dans l’espace et la durée devient une tentative d’envoûtement, mélangeant les contours des personnalités, les fondant, les faisant résonner et se percuter.
Dans cette avancée polyphonique, l’expression artistique elle-même se multiplie. Les images s’accumulent, le décor se développe, les voix se superposent et les trajectoires des uns et des autres s’inversent. Le dédale se complexifie et envahit le plateau de portes vitrées dépliantes ; Harwan à nouveau en caleçon s’agite comme un animal dans un piège, tandis que les ombres chinoises de sa sœur et de son frère glissent en fond de scène. La réalité, les souvenirs, les projections, les rêves, le conscient et le fantasme, tout s’emmêle et nous entraîne en cette toile grandissante. L’épilogue est alors une longue expression picturale, où Harwan peint ou plutôt part à l’assaut de la peinture en une performance impressionnante.
Une introspection aventureuse
Avec Seuls, Wajdi Mouawad poursuit sa rupture avec les conventions et les constructions théâtrales. Il ose s’emparer sans limites de l’énigme des quêtes identitaires et veut créer sur la scène une mise en abîme équivalente à celle qui brouille les frontières entre réalité et illusion. Son personnage est son double autant que Robert Lepage renvoie au double de Mouawad qui lui-même se scinde entre père et sœur et ainsi de suite.
De quoi se compose la mémoire ? La langue maternelle est-elle le support et la base de la construction de l’individu ? L’errance existentielle remonte-t-elle le fil de l’origine ? La densité du propos trouve dans la densité scénique un formidable écho, mais la longueur du déroulement, si elle captive certains spectateurs, peut laisser un peu froids devant une ingénieuse scénographie qui ne suffit pas à faire oublier l’aspect cartésien et lourdement démonstratif de ce foisonnement, selon le point de vue.
Isabelle Bournat
Seuls
Texte, mise en scène et jeu de Wajdi Mouawad
Du 19 au 29 mars à 20h30
Relâche les 24 et 25 mars
Tarifs : de 11 à 33 euros
Réservations par tél. 01.53.65.30.00
Durée : 2 h
Théâtre Nationale de Chaillot
1 place du Trocadéro
75016 Paris
M° Trocadéro
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