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“7 morts sur ordonnance” : harcèlement et manipulation au menu du Théâtre Hébertot !

patrick duCome 21 février 2019
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Tout d’abord, il y eut ce fait divers tragique en mars 1952, le suicide à Reims d’un chirurgien survenu peu de temps après celui d’un autre chirurgien, certainement trop bien dans sa peau, avec son cortège de bien dramatiques dommages collatéraux. Anne Bourgeois et Francis Lombrail en ont créé une pièce de théâtre haletante. Dans ces entrelacs du chantage et de la violence, dans l’âpreté de la bataille pour l’argent et la conquête du pouvoir, comment éviter une issue fatale ?

En 1975, inspiré de ces faits réels, il y eut ce film mythique 7 morts sur ordonnance,  que Jacques Rouffio réalisait sur un scénario original de Georges Conchon, interprété par les non moins mythiques Marina Vlady, Jane Birkin, Michel Piccoli, Gérard Depardieu, Charles Vanel et Michel Auclair.
Harcèlement, manipulation sournoise, cruauté sont au menu du Théâtre Hébertot pour une compétition dramatique qui se déroule sans concession sous nos yeux. Francis Lombrail, qui est certes metteur en scène et comédien mais également directeur du Théâtre Hébertot, écrit qu’en 2009 Jacques Rouffio lui apportait son scénario original : “Pour qu’Anne Bourgeois et moi adaptions son film au théâtre afin d’apporter la juste dramaturgie à ces faits de harcèlement dans le milieu chirurgico-médical. Et pour que je puisse développer une étude comportementale, en cernant la personnalité de chaque personnage, comme dans un grand classique de comédie dramatique.”
On lui pose la question : est-ce seulement une pièce sur le harcèlement ? Est-ce le lieu où se dénoue une intrigue policière ? Qui ment dans les arcanes fragiles du monde du travail, dans sa vie sociale, dans ses relations familiales où la manipulation est trop souvent responsable d’irréparables destructions ? Francis Lombrail développe : “Même si la société s’organise aujourd’hui pour dénoncer le harcèlement, pour lutter contre la destruction mentale de l’homme par l’homme, trop d’êtres humains sombrent encore parce qu’une force destructrice venue de leur entourage les a précipités vers leur chute.”

Un métronome invisible au centre d’une audacieuse scénographie

Ce qui a guidé le travail des dramaturges, poursuit Francis Lombrail, c’est le respect du film. Les personnages présentent tous “[…] un drame intérieur, un combat secret qui les rend vulnérables et qui prépare le terrain de leur propre destruction”.
La mise en scène dépouillée d’Anne Bourgeois apporte l’intensité et la trépidante vivacité qui conviennent à ce jeu des acteurs. “Anne Bourgeois, c’est l’énergie, la fougue, une ferveur positive à l’inverse de la violence qui est négative”, dixit Bruno Wolkowitch.
Dans 7 morts sur ordonnance, les situations différentes s’inscrivent habilement les unes derrière les autres comme rythmées par un invisible métronome au centre d’une belle architecture, d’une audacieuse scénographie servie par une création des lumières qui autorise d’audacieux changements de tableaux. Ils dispersent dans des marécages mentaux une flopée de personnages englués dans une horrible manipulation.
On le connaît ce directeur de clinique, il est pervers, davantage criminel que narcissique. Le manipulateur, ce monstre froid, on le sait, est sans scrupules. Il hante nos craintes. Il est vassal du seul pouvoir de l’argent. Il fait partie du décor de nos sociétés libérales. Seulement, celui-là est un pervers cynique !

Violence physique, écrasement psychologique

Donc, on ne fera pas l’effort de comprendre ses folles motivations et on s’attachera à la complexité des personnages qui l’entourent. À eux tous, les comédiens traduisent parfaitement qu’ils sont des hommes pris dans la nasse. Ressortiront-ils intacts de ce maelstrom ?
À côté d’eux, une comédienne, Julie Debazac, seule femme dans cette arène truffée de bonshommes, nous laisse parfaitement entendre qu’elle représente à la fois la raison et le monde extérieur. Pour autant, réussira-t-elle à sortir son chirurgien de mari du cœur de l’intrigue et d’une probable et dangereuse descente aux enfers ? “La morale, c’est comme la foi, il faut y croire”, nous dit l’un des protagonistes, le docteur Jean-Pierre Berg, dans un texte qui se faufile entre “les bons et les salauds, entre les morts et les vivants”. La tension est palpable entre ces personnages enfermés dans un surprenant rapport de force. La pièce 7 morts sur ordonnance est un désormais un grand classique de la comédie dramatique. Mais, de cette tragédie humaine, qui donc sortira indemne de la calomnie et de ce jeu dangereux voire mortel de roulette russe offerte en grand format réel ?

Patrick Ducome


Julie Debazac – Interview

“Jusqu’à la fin de mes jours, je ne lâcherai jamais le théâtre ! 
Pour moi, l’important est toujours de savoir où je mets les pieds !”

À deux pas du Théâtre Hébertot, où elle joue dans 7 morts sur ordonnance, dans cette brasserie parisienne au cœur d’un hiver qui n’en finit pas d’être doux, Julie Debazac répond à nos questions. Nous l’avions déjà rencontrée fin 2018 lors d’une de ses lectures en public à l’Espace des femmes pour soutenir les écrivains emprisonnés ou exilés par le fait de la guerre ou des dictatures. Il fallait en savoir davantage…

7 morts sur ordonnance ! Comment avez-vous appréhendé votre personnage ?

Dans cette pièce où le cynisme et la rumeur côtoient la calomnie, mon personnage évolue dans un monde de cruauté. Dans cette tragédie humaine, il fallait trouver la psychologie de cette femme et jouer avec ce qu’elle est. En fait, il n’y a qu’une femme. Je remplace toutes les femmes qui devraient être sur scène si on suivait le film à la lettre. Elle catalyse toutes les femmes, je l’ai créée à ma manière en apportant à chaque représentation des nuances à mon rôle. Instinctivement, dans ma vie, je vais vers ce qui nourrit mon personnage et chaque soir je le retrouve sur la scène et avec des notes différentes. Je dois vous confier que mes partenaires font de même. Ils sont assez joueurs. Ils sont très professionnels, très précis mais ils s’octroient également une grande liberté.
En fait, pour moi, le plus important est toujours de savoir où je mets les pieds. Il faut que j’aie le choix de prendre mes décisions en toute connaissance de cause, en regard de l’environnement des pièces que je peux jouer. La distribution m’importe, par exemple, je désire toujours savoir avec qui je devrais jouer.

Cette femme soutient son mari. Doute-t-elle de sa capacité à tenir le coup ?

Elle ressent les choses. Elle l’aime, elle a du caractère jusqu’à en paraître directive. Elle sait que s’il n’arrivait plus à gérer, il tomberait.

Le travail avec Anne Bourgeois ?

Mon travail et la réussite de ce spectacle tiennent surtout à la confiance que j’ai pour Anne Bourgeois. J’ai plus que confiance dans sa mise en scène. Déjà, en 2015, je jouais sous sa direction dans les Vœux du Cœur. J’ai également une grande confiance en Francis Lombrail qui a adapté la pièce avec Anne Bourgeois à partir du film.

Julie et l’art

Je trouve le temps d’aller voir des expos, les peintres en particulier. Moi-même, j’adore peindre. Quand on peint, on apporte des couleurs, n’est-ce pas ? On élimine des éléments… on repasse sur des traits. Eh bien, dans mon métier de comédienne, c’est pareil, je tente d’apporter une couleur, le meilleur ton.

Julie et le cinéma, la télévision

Le cinéma comme la télévision font appel à d’autres ressorts. Ce ne sont pas les mêmes codes qui régissent les comédiens, il y a le point de vue du réalisateur qui s’impose. Moi, je choisis de m’inscrire dans les univers de rôles complexes, j’ai très envie de ça !

Julie et la danse

Déjà, très jeune, je voulais être danseuse. Pour moi, le temps que j’ai pu y passer a été rude mais ce fut un vrai apprentissage pour mon métier. Quand on joue, c’est tout le corps qui joue. J’ai besoin de me mouvoir. Du reste, il n’y a pas que la danse qui m’ait appris cela, le sport également. Je montais à cheval, j’ai même fait du karaté !

Julie et la musique

Je ne me cantonne pas dans une expression musicale. Classique, jazz, pop-rock, hard rock, tout est bon depuis le Requiem de Fauré jusqu’aux groupes du style Metallica, en passant par Leonard Cohen…

Quelle est votre action pour les Éditions des Femmes ?

Je lis de très beaux textes. On peut y trouver les CD (livre audio) de mes lectures, Stella d’Anaïs Nin et La Dame au petit chien suivi de La Fiancée d’Anton Tchekhov. Notez bien qu’en mars 2019 paraîtra Voix de femmes d’hier et d’aujourd’hui pour demain.
De Christine de Pizan aux Femen, en passant par Olympe de Gouges, Virginia Woolf ou Antoinette Fouque, c’est un livre audio qui réunit des textes historiques et fondateurs des luttes des femmes lus par différentes comédiennes. Ce sont des voix d’aujourd’hui qui portent et donnent à entendre ces discours, parfois gravés dans nos mémoires, parfois oubliés, mais toujours d’une évidente actualité. Ce chœur de femmes compose un retentissant appel à la révolte.

Julie et la poésie

La poésie est pour moi au-dessus de bien des choses. Tout d’abord, c’est la poésie qui m’a emmenée au théâtre. La poésie, n’est-ce pas ce monde extraordinaire qui fait qu’en quelques mots tout devient magnifique ?

Julie et le théâtre

Le théâtre, c’est un moment unique, privilégié. C’est cet instant partagé avec le public. Ce sentiment est fascinant et m’accompagne depuis que j’ai démarré ma carrière. Ce rapport au public est une forme de temps suspendu. Le pouvoir que je m’accorde, c’est celui d’arrêter le temps. Jusqu’à la fin de mes jours, je ne lâcherai jamais le théâtre !

Propos recueillis par Patrick Ducome

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