Seine-Saint-Denis, terre de révolutions chorégraphiques
Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis Du 11 mai au 18 juin 2016 |
Six créations et quatorze premières en France! Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis déploient la force et la diversité des recherches et écritures en danse contemporaine. L’heure est à la découverte, puisque ce festival ne présente pas les vedettes mais des artistes qui secouent le bocal – en Corée du Sud, en Espagne, en Suisse, en France, à Taïwan, en Belgique… Comment virons-nous demain? Pourrions-nous devenir autre chose que ce que nous sommes? Qu’est-ce qui nous lie à l’autre voire à nous-mêmes, à travers nos racines? Les chorégraphes invités, même s’ils appartiennent à plusieurs générations, questionnent l’humain face aux changements qui façonnent nos vies et nos envies de demain. Leur exploration de nos limites concerne les traditions culturelles, les systèmes sociétaux, les envies de s’oublier, la peur de devenir autre, ou la fascination qui s’en dégage. Se lier par le geste Commençons par la cover-girl de cette édition, Malika Djardi (c’est elle qu’on voit sur l’affiche). Dans Horion, elle se lance dans une recherche sur le geste qui découle du rythme musical quand les coups musicaux du batteur Nicolas Taite sont à l’origine d’une gestuelle qui crée la chorégraphie interprétée par Djardi et Nestor Garcia Diaz. Aussi, leur duo interroge le lien entre le geste et la musique, entre le rythme et le sens, entre l’abstraction et le burlesque. Et quand il y a quatre personnes? La Ronde/Quatuor de Yasmine Hugonnet est une quête de rituel par le groupe, basée sur la ronde, ce qui implique que chacun des gestes répétitifs emplisse la conscience de chacune des quatre danseuses. Ce lien est-il alors généré par le geste ou en est-il le produit? De Virgilio Sieni, on attendrait plutôt avec une nouvelle œuvre complexe entre philosophie, danse et autres genres. Mais là, il mène un projet avec plusieurs dizaines d’amateurs de toutes générations (10 – 80 ans) pour faire remonter à la surface les strates enfouies des relations familiales. Le résultat est un dictionnaire aussi personnel et intime que chorégraphique du geste maternel ou paternel envers l’enfant. Et puis, cela n’empêche en rien une dimension philosophique et une exploration à la Lévi-Strauss. Et justement, il y a un fort volet « altérité » aux Rencontres Chorégraphiques: La Corée du Sud. L’Asie est une terre de mutations, où l’écho des traditions résonne à travers les distorsions du présent. La Corée du Sud toute entière est engagée dans une réflexion sur l’élasticité du lien entre son passé et son avenir. L’incontournable Année France-Corée a offert à la directrice artistique Anita Mathieu la possibilité de composer un festival dans le festival, où six jeunes chorégraphes séoulites revisitent les arts traditionnels de leur pays. On y rencontre donc des regards contemporains sur des saltimbanques populaires, sur le chant lyrique ou bouddhiste, sur le théâtre masqué ou les contes et rituels. Six formes brèves, et percutantes. Dépasser sa condition Une seule Coréenne invitée contourne cette dialectique. Park Sang-Mi est contorsionniste et interroge l’animalité de l’humain, nos fantasmes et la relation entre le corps et nos rêves. Avec elle, cet art du corps asiatique dépasse la prouesse circassienne et atteint une dimension métaphorique. Et c’est un Taïwanais qui remporte la palme technologique de cette édition. Chieh-hua Hsieh transforme la danseuse-interprète de Second Body en une créature virtuelle, en l’enveloppant d’images de synthèse. Mais progressivement, les projections gagnent en autonomie, telle une version numérique de l’ombre qui avale son maître. La danseuse est-elle encore elle-même? Jusqu’où continue-t-elle à revendiquer son statut de danseuse, sous la l’éclat des projections interactives? Le réel et le virtuel peuvent-ils ne faire qu’un? On n’échappe pas à ce qu’on est, sauf en scène. Et c’est en devenant autre qu’on peut interroger ce qu’on est. Nina Santes tente le coup de se transformer en homme. Un autre corps, un autre état psychique. D’autres gestes, une autre voix. Une expérience mentale en direction d’un ailleurs, par la pure volonté: Self Made Man est un solo qui aborde le thème de la construction dans une scénographie faite de poutres et autres matériaux de chantier, pour édifier cette expérience de la reconstruction de soi. Ce processus devient permanent chez Cindy Van Acker. Elementen I – Room, sa première pièce pour une compagnie de ballet, part de I am sitting in a room d’Alvin Lucier qui transforma, en 1969, un texte en bourdonnement musical, simplement en étant assis dans une pièce pour diffuser l’enregistrement de son texte, l’enregistrer de nouveau, diffuser cet enregistrement, l’enregistrer à son tour, etc. etc. Créée pour le Ballet de Lorraine, la chorégraphie de Van Acker ne trouve pas de lien organique avec ce classique de la performance sonore. C’est compréhensible. Mais les danseurs de la troupe de Nancy passent par une panoplie de postures et d’unissons qui nous promènent de l’animalité vers la discipline militaire et tant d’autres confins de la conscience humaine. Saisir le rythme Djardi et tant d’autres interrogent le rythme qui, dans son lien au geste et à l’intime, détermine la relation entre les êtres. Et tout se joue à travers la relation au temps, comme dans Time takes the time time takes de Guy Nader et Maria Campos : Le temps prend le temps qu’il prend. C’est lui qui est la mesure de toutes choses, depuis qu’on le mesure. Ce quintet accompagné d’un musicien part d’une oscillation pendulaire pour suggérer un mouvement perpétuel de balancier. Un phénomène de contrôle ou de lâcher-prise? En combinant les deux, on arrive au rituel. Le surréalisme au service de la révolution, parle de la condition humaine, du corps de ballet, de romantisme (et donc de la décadence menant à la révolution) et peut-être même de surréalisme. Mais cette pièce pour le Ballet de Nancy, qui ouvre les Rencontres Chorégraphiques, confronte tout ça à une évocation des processions des Pénitents blancs (sous leurs capuches style Ku Klux Klan) et donc à une sorte de recherche de dépassement ritualisé, soulignée par les gros tambours qui envahissent la scène. Le chorégraphe Marcos Morau est la dernière shooting-star de la danse contemporaine. Avec sa troupe espagnole La Veronal, il est devenu incontournable pour les grands festivals et était à l’affiche, en avril dernier, au Théâtre National de Chaillot. Et quelle serait la danse la plus rythmée au monde? Le flamenco, bien sûr. Alberto Quesada est un Catalan ayant rejoint le vivier chorégraphie de Bruxelles. C’est artiste européen et contemporain qu’il aborde, avec le Hongrois Zoltan Vakulya, les structures rythmiques de la baile jondo andalouse. Leur duo OneTwoThreeOneTwo annonce dès son titre sa velléité analytique. 123-123-12-12-12 n’est autre que la séquence rythmique fondamentale du flamenco. Abandonner le contrôle L’humain se définit par sa conscience et donc le contrôle de lui-même. La perte de ce contrôle fait peur ou envie, c’est selon. La peur est au centre de Bang! d’Herman Diephus: Peur du noir, peur des monstres. Bang! est une pièce pour jeunes spectateurs à partir de huit ans, statut rarissime dans ce festival. Mais cet abandon cherche avant tout l’extase. L’édition 2016 des Rencontres chorégraphiques est tout sauf avare en propositions et musiques festives. Dans Boleroeffect, l’Italienne Cristina Rizzo revisite le Boléro de Ravel avec sa ritournelle lancinante par le dancehall, dans le but, très offensivement défendu, de pousser le bouchon jusqu’à l’épuisement. Ambiance de fête également dans Clan d’Herman Diephuis où trois couples se déchaînent sur des airs pop jusqu’à faire sauter les conventions sociales et celles de la représentation. La Suissesse Marie-Caroline Hominal vient avec Taxi-Dancers, un quatuor féminin sur l’engouement pour la danse chez des taxi-girls dans l’Amérique des Roaring Twenties. Arno Schuitemaker (Pays-Bas) envoie deux hommes sur le plateau pour s’envoler, sur une musique électronique répétitive de Wim Selles, dans une énergie centrifuge des bustes et des bras. Et puis, vers où se laisseront porter Viktoria Andersson et Sara Tan, dans no.W.here de Frank Micheletti/ Kubilaï Khan? Musiques et vidéos mixés live par Micheletti et Jean-Loup Faurat leur ouvriront les espaces intérieurs nécessaires pour basculer de l’ici-et-maintenant vers le nulle-part d’un état inconnu. Venu d’Amsterdam, Michele Rizzo, danseur et chorégraphe mais aussi enseignant universitaire, nous emmène dans l’univers du clubbing. Sur des musiques ultra-communautaires mais passées de mode (Gabber, Hard Style, Tecktonik), son duo Higher pose le clubbing en genre artistique en révélant sa puissance cathartique. Et le public pourra se rapprocher de cette puissance-là en son propre corps, quand la chorégraphe canadienne Ula Sickle et la DJ Daniela Barshan (Baba Electronica) viennent avec Extended Play, pièce où les spectateurs sont même invités à entrer dans la danse, pour chercher une transe collective! Mais on peut aussi se coucher au sol pour se laisser emporter par le mix musical performé en direct. Thomas Hahn [ Photos : Arno Paul, Loïc Benoit, Anne-Laure Lechat, GeunWoo Kim, Ching-Ju Cheng, Magda Kachouche, Benjamin Sommabere, Ilaria Scarpa, Lukas Beyeler, Sem Brundu, Alwin Poiana] |
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