Schatten à La Colline, une femme parle
« Schatten, Eurydike sagt » ou en français « Ombre, Eurydice parle » est une pièce écrite en 2013 par Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature trop peu jouée en France. Reprenant une de ses thématiques récurrentes, l’auteure autrichienne signe un texte féministe et abrasif.
La parole de la femme qui est au centre de Schatten émane d’une comédienne placée dans une cabine de verre sur le côté du plateau ; et c’est une autre comédienne, occupant le plateau, qui joue ce personnage dont les pensées sont donc la matière du texte. La parole déconstruite est puisée au tréfonds de cette femme, elle est comme expulsée de son cerveau et de sa bouche habituée à se taire ou à dissimuler. Car parler pour une femme s’avère par avance souvent inutile, la parole de la femme étant vouée à ne pas être entendue. En lutte contre cet évincement insidieux qui domine les rapports humains, le texte d’Elfriede Jelinek est un flot de langage rude et violent qui est mis à nu par la mise en scène aiguisée de la britannique Katie Mitchell.
La vidéo est constamment présente ; les caméras tournent sans cesse autour des comédiens pour une projection simultanée sur un grand écran élevé sur le plateau. La multiplication des séquences, filmiques et théâtrales, opère un bousculement du temps et une course sur plusieurs niveaux, vie et mort, lumière et ténèbres. Le spectateur passe des phares de la voiture qui est sur scène et du spectacle de l’amant sous les projecteurs, à l’obscurité d’une lente disparition qui confine étrangement au champ de la liberté.
Au cœur de ce dispositif agité, l’héroïne est une Eurydice d’aujourd’hui. Mordue par un serpent, elle descend dans les entrailles de la mort, représentée par des successions de couloirs et sombres ascenseurs. Son amant, inspiré d’Orphée, ne peut se résoudre à une telle perte et obtient de la ramener à la vie, à la condition de ne pas se retourner. Bien que prenant source dans la mythologie, la pièce de Jelinek s’inscrit, comme l’ensemble de sa production littéraire, dans un registre qui brouille tous les codes, s’appuie sur les traits les plus noirs des sociétés contemporaines et frappe le spectateur par une quasi-incantation.
Au fil de son œuvre abondante, Elfriede Jelinek extirpe du quotidien les dominations et les brutalités sous toutes leurs formes qui sont faites aux femmes. Elle décortique les relations pernicieuses avec une prose drue et musicale, elle dissèque la violence contenue sous les apparences lisses des rapports amoureux. Dans Schatten, Eurydice est une femme écrivain dont la traversée douloureuse vers la mort se transforme en un dépouillement créateur, où la femme est au final rendue en pleine possession de sa puissance qui laisse le public bouche-bée.
Emilie Darlier-Bournat
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