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Sandra Soukhodolets : “Une société sans art, c’est bien triste franchement”

Elise Marchal 16 juin 2020
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D.R

Pour cette comédienne, être heureuse se résume à faire ce qui lui plaît, c’est-à-dire jouer. Rencontre avec cette amoureuse du théâtre pleine d’espoir.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Voilà c’est Sandra, j’ai 44 ans, wahou je suis arrivée jusque-là. Je suis comédienne, j’ai fait des études de théâtre à l’université de Bordeaux 3 Michel de Montaigne et un DEUST Art du Spectacle, c’était très intéressant, ça m’a bien plu. J’ai étudié des pièces, j’ai fait de la création, de la mise en scène, de la scénographie… On s’interroge aussi sur la place du public, pourquoi un spectacle fonctionne ou non ; on s’interroge pas mal. À la fin de mes études, j’ai répondu à une annonce, de l’ANPE (Pôle emploi), la comédie Gallien cherchait une comédienne pour reprendre un rôle dans une pièce enfant, j’ai auditionné et j’ai été prise. J’étais encore à fac, je travaillais et j’avais un pied aussi sur la scène. Je suis partie de plus en plus vers la scène parce que c’est vraiment ce que je voulais faire et c’est pour ça que je n’ai pas terminé mon année de maîtrise, le mémoire en fait. C’était trop gratte-papier pour moi, je voulais en sortir, me confronter à la scène.

Est-ce que cela a été une évidence pour vous de faire du théâtre ?

Oui dès l’âge de 8/9 ans, c’est arrivé vraiment par hasard. Je suis tombée sur une annonce du magazine de l’époque TOP 50. Ils cherchaient une fillette pour un rôle à Paris. Je n’avais jamais pratiqué le théâtre avant mais j’ai eu un flash. De là, j’ai su que c’est ce que je voulais faire, mais mes parents s’y sont opposés. Pendant ma scolarité, j’ai tout fait pour me rapprocher du théâtre. J’étais très enthousiaste à l’idée de lire ou jouer Molière. J’étais trop contente, je ne m’en cachais pas, je disais ouvertement que je voulais être comédienne. En réaction, j’avais de la réticence, des appréhensions. Mais je n’ai jamais douté, je suis butée ; je me suis battue contre tous pour faire ce que je voulais vraiment faire. Je me suis donnée les moyens pour y arriver.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le monde du spectacle vivant ?

Ce qui est vraiment génial, c’est de travailler en groupe. J’ai déjà fait des seules-en-scènes il y a quelques années de ça mais c’est différent. Lorsqu’on est plusieurs il y a quelque chose de fort, une émulsion, un partage et ça, ça me plaît vraiment. La mayonnaise prend, enfin ça monte, puis ça grandit petit à petit et c’est ce travail en commun qui est vraiment chouette.
En tant que comédienne, je suis un peu un électron libre, je n’ai pas de compagnie parce que la paperasse et moi ça fait deux voire trois donc je fuis ça, je ne cherche pas à comprendre. C’est bien qu’il y ait des gens qui s’y frottent, mais moi je préfère voguer vers les pièces qui me plaisent.

D.R

Vous avez commencé avec des spectacles pour les enfants, qu’est-ce que vous aimez dans ce théâtre ?

C’est l’interaction qu’il y a avec le théâtre enfant. Quand on joue face à un jeune public, c’est très différent. Les enfants sont spontanés, s’ils ont envie de te dire quelque chose, ils te le disent, sans retenue, sans honte. Tu rigoles de toi-même aussi, beaucoup. Il y a un beau partage et il faut être très à l’écoute, ça m’a beaucoup apporté. C’est un peu de l’improvisation aussi c’est chouette.

Quelles difficultés ressentez-vous en tant que comédienne dans la société actuelle ?

C’est une grosse question. Je dirais le regard des autres et le fait que tel théâtre fasse tel genre de théâtre. On peut le concevoir mais au bout d’un moment on a fait le tour en fait, on peut faire autre chose, ou aller voir pas loin mais au moins un peu à côté.
C’est inspirant de voir comment la société change. Le théâtre c’est la vie aussi donc il faudrait peut-être être plus fidèle de la réalité. C’est ce qu’on voit aussi avec les rôles féminins, qui s’enferment dans certains types ou disparaissent à partir d’un certain âge. Encore aujourd’hui, c’est assez déséquilibré, il n’y a peut-être pas assez de femmes qui écrivent…

Qu’est-ce que représente le théâtre pour vous ? Tant par sa pratique que sa consommation ?

C’est super important. Je ne conçois pas une société sans théâtre, c’est un art qui permet de s’exprimer et de faire passer des messages. Et puis, c’est ce qui nous distingue aussi. Enfin une société sans art, c’est bien triste franchement. C’est impossible de vivre dans une société où il n’y a pas d’art, où on nous interdit ce genre de chose ; autant le théâtre, que la musique ou autre expression telle que la peinture, l’art de la rue. L’art nous interroge, ça nous fait nous remettre en question. De là, on se pose des questions sur les autres, sur la société, sur pleins de choses en fait et ça nous fait avancer et ça c’est très important.

Pourquoi avoir choisi le théâtre plutôt que le cinéma ?

C’est un art vivant alors que le cinéma c’est figé. D’après moi, lorsqu’on regarde à travers un écran ce n’est pas le même lien, ce n’est pas du tout le même rapport avec le public. Quand tu sors du théâtre tu sens que tu as vécu quelque chose avec d’autres personnes, il y a du contact humain. Il y a un échange entre le comédien et le public. Certaines réactions vont te porter sur scène et à l’inverse quelquefois tu joues et il n’y a rien, pas de réaction, ni positive ou négative. Ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas très attentifs, au contraire. Ils prennent, ils absorbent et s’imprègnent complétement dedans ; comme en ce moment en l’occurrence, je joue une pièce sur Michel de Montaigne, c’est une écriture particulière et assez difficile. Les gens sont très à l’écoute mais c’est extrêmement rare qu’on ait des rires bien francs, ça ne s’y prête pas trop, mais il y a toujours une grande part d’attention et d’écoute dans la salle.  On a monté cette pièce il y a trois ans maintenant avec un petit théâtre de poche à Libourne, le Théâtre de l’Epinette. Je travaille aussi sur la pièce Sac de filles – Grand déballage public avec l’Horrible Cie, une comédie sociale mais légère.

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Pensez-vous que le théâtre reste difficile d’accès ?

Difficile d’accès, je ne pense pas : on en fait de plus en plus à l’école, dans des associations. C’est quand même assez accessible, du moins en France. Le prix varie entre les lieux, mais quand tu vois les prix de places de cinéma ce n’est pas donné non plus. On a de plus en plus de petits théâtres qui proposent des pièces un peu alternatives, où on donne un peu ce que l’on veut au chapeau, ce sont vraiment des petits tarifs, comme nous. Les pièces de théâtre, ça se joue dehors, ça se joue dans des lieux, là où on ne les attend pas. La difficulté, c’est vraiment de réussir à payer les comédiens. Engager des frais pour d’autres créations, pour les costumes, pour les décors tu n’as rien quoi. Pour un chargé de diffusion ou communication, ça devient très compliqué, surtout pour les petites structures. Selon les lieux où l’on joue, le prix peut beaucoup varier. Du coup système D parce qu’il n’y a pas toujours les fonds pour le faire.

D’après vous, le théâtre offre-t-il réellement la possibilité d’éveiller les consciences ?

Certains le reçoivent comme un divertissement et après il y en a d’autres qui sont plus ouverts, et heureusement. Tant mieux, parce que ces personnes vont faire avancer les choses. Donc même si ce n’est pas forcement perçu, je pense que le théâtre a ce pouvoir de transmettre. Ça permet de s’interroger, quand tu assistes à une pièce de théâtre ou quelques fois même un film, ce que tu vas voir ça te reste dans la tête. Au bout d’un certain temps, tu y penses et il y a quelque chose qui va ressurgir. Je pense qu’il y aura toujours un public pour les pièces plus engagées. Du moins je pense que dans la société française, il y a a de plus en plus de gens en demande, il y a un certain éveil. Et les arts participent à cet éveil, c’est une manière de questionner.

Comment imaginez-vous le théâtre dans l’avenir ?

Il va se repenser c’est évident, on est obligés parce qu’on est quasiment au pied du mur ; pas mal de chose vont être remises en question j’ai l’impression. Le fait que justement le théâtre sorte du lieu, aille en extérieur, dans les bars, dans la rue, dans les parcs… c’est vraiment très bien parce que ça évite d’être enfermé dans un même lieu. C’est un peu comme un retour à l’origine du théâtre où l’on jouait sur les parvis d’églises et dans les foires. C’était magnifique, c’était génial, c’étaient les tréteaux et les chorales. C’était vraiment dans la rue, dans des espèces d’impasses où on faisait des spectacles. J’aime bien le théâtre de rue, ça me plairait d’aller dans ce sens. C’est un peu ce qu’on fait avec la pièce Sac de filles – Grand déballage public, qui est mobile. Au départ, c’était fait pour être joué dans un bar, au milieu des gens donc il y a quand même une scène qui est montée mais on s’adapte et on évolue en fonction du lieu où on joue, comme c’était prévu de l’adapter en théâtre de rue pour le festival d’Aurillac.
Finalement, c’est positif selon moi, de voir comment le théâtre peut évoluer. On est amenés à casser des codes. J’espère qu’on ira aussi vers quelque chose de plus multiculturel et pluridisciplinaire. J’en ai carrément envie, ça peut être très intéressant. Les arts se soutiennent, les artistes peuvent se rencontrer c’est une belle ouverture, comme avec les voyages.
J’ai toujours été passionné de théâtre, on rencontre pleins de gens, c’est génial et j’ai hâte de voir les nouvelles formes qui nous attendent, c’est une grande aventure.

Propos recueillis par Elise Marchal

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