Samuel Mathieu – Festival Neuf 9 – Auterive
Au programme, des compagnies innovantes, mais dans un souci de proximité et d’accessibilité aux spectateurs. Preuve en est : la manifestation démarre par un atelier de création avec des amateurs. Le chorégraphe a voulu que les participants se frottent aux « quatre fondamentaux » de la danse contemporaine. Entre soli et duets, les neuf individus se sont glissés avec grâce dans le creuset de deux ateliers de week ends, passés à éprouver leur force d’improvisation. Le résultat est une envolée lyrique humble et efficace.
Cécile Loyer, interprète de haut vol repérée notamment chez Nadj, se livre à un solo bouleversant, Ombres. Le départ est une situation en apesanteur au propre comme au figuré, puisqu’il s’agit d’un décollage en avion. Or le propos est de rendre sensibles les perceptions intimes de la voyageuse. S’ensuit une danse complexe, fine, où l’humour pointe comme l’élégance du désespoir dans une solitude où la folie est le spectre menaçant. L’espace scénique, sobre, devient l’écrin des sensations troubles.
Avec Habitatio, le couple de Samuel Mathieu et de sa compagne Fabienne Donnio, interprète au dynamisme ébouriffant, se frotte à l’élan créatif déjanté de Xavier Martinez et Mar Gomez. Autour d’une scénographie déroutante de simplicité, faite de bouteilles de bière encadrant le plateau, et de vaporisateurs, les deux couples se rencontrent en leurs talents. Danse fluide, énergique, pleine d’aspérités sensuelles où l érotisme a le bon ton de ne jamais être vulgaire pour les Français. Théâtralité réjouissante de sens burlesque pour les espagnols. On perçoit le second degré des rapports amoureux en la balade musicale de Pepi, Luci, Bom et les autres filles que quartier du premier film d’Almodovar. Subtile et cocasse, la pièce emballe par son allant et ses points de rencontre entre virtuosité et humour.
Avec Faites demi-tour dès que possible, Pierre-Johann Suc et Magali Pobel se sont risqués à l’exercice de mémoire inconsciente et collective autour de la Shoah. Mais attention, dans un registre parfaitement inédit. La transmission, la mémoire vive souvent tapie sous les non-dits, les émotions refoulées, la volonté de questionner ce(eux) qui reste(nt) prévaut avec grâce dans ce qui est à l’arrivée d’un périple jusqu’à Auschwitz en tandem de Pierre-Johann Suc et du musicien Eddy Crampes, un road movie décalé. Le caractère cartoonesque du film après le solo troublant et inquiétant de Pierre-Johann nous emmène aux confins de l’absurde, sur le roulis des bruits de trains en allers simples. Juif ou pas, on a vraiment l’impression durant cette projection qu’on peut venir nous chercher… De quoi réveiller en notre temps… Le trio qui signe le troisième volet du triptyque emmène avec grâce le public dans une transcendance de la mémoire historique, en son versant intime. En effet, le chorégraphe emporte son père et son enfant en des enroulements d’amour. Qui seul peut nous sauver du pire.
Enfin, le festival se clôt en notes magistrales avec le solo de Samuel Mathieu, L’homme qui plonge, inspiré du mythe de Boutès, et de sa relation troublante à l’appel des sirènes… Quatre femmes violonistes campent sur scène la figure des tentatrices, avec un jeu musical lancinant, suave et entêtant. Sur ces sonorités d’appels, le chorégraphe et danseur s’adonne à des expressions de douleur, de résistance, de désir et d’émois intimes. Son interprétation est magistrale de retenue, de brio, qui jamais ne sombre dans l’écueil de la démonstration gratuite.
Bref, un festival qui fait du bruit et remue les esprits, mais avec douceur et beauté des formes, pleines et contrastées. Et ça sent bon le neuf.
Bérengère Alfort
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