Sainte dans l’incendie – Théâtre du Rond-Point
Jeanne d’Arc, la petite paysanne qui s’en va convaincre le roi de France de reprendre le combat, a inspiré romanciers et cinéastes. On croit la connaître, on lui prête des visages et des répliques que des films très réussis ont rendu célèbres, on se souvient aussi de la pièce de Péguy. Et voici que Jeanne renaît et déploie l’épopée de sa vie sous des traits et des mots entièrement nouveaux, sous une lumière irradiante qui sourd des racines du ciel.
Le texte de Laurent Fréchuret est un long poème, un souffle rayonnant, lyrique, innocent, d’abord écrit comme tel puis devenu théâtre lorsqu’il a rencontré cette comédienne frémissante, Laurence Vielle. Il fallait effectivement que ce chant soit porté dans une connivence extrême, une complicité profonde qui produit le petit miracle auprès du public.
Une simplicité bouleversante
Le plateau est presque nu, un banc respire la campagne, la comédienne à elle seule déroule des images qui s’impriment et se succèdent dans un halo magique. Elle offre sans limites la puissance du texte poétique, elle le transmet dans toute sa veine lumineuse. Son vibrato naturel qui paraît coller à sa peau fait entendre la respiration de l’auteur, dont la langue rayonne du mystère de l’esprit autant que des valeurs de la chevalerie. Le timbre de voix de Laurence Vielle, dès la première syllabe, habite ce verbe où l’intensité s’imbrique à la pureté de l’enfance qui ne cède jamais.
Les gestes et les déplacements s’accordent intimement à la force qui habite le corps de Jeanne. Une main qui se soulève, une cuisse qui se dégage de la robe modeste, et voilà que toute la ferveur de Jeanne occupe le plateau. Un pas, un regard, et la densité captive et touche. L’émotion est partout, jusque dans le plus infime tressaillement du visage.
Il n’y a quasiment pas de décor, pas d’effets, juste un plein feux et de brèves musiques, et les paysages défilent, la légende se construit. Les mots sont tissés avec un tel amour pour ce destin d’héroïne, un tel corps à corps, qu’il nous semble littéralement voir la petite gamine effrontée gambader au milieu des champs et des fleurs qui la subjuguent ; on la voit aussi qui grandit parmi les humbles et les animaux, observatrice des hommes même en leur faiblesse sans que fléchisse son ardeur ; puis on est emporté par Jeanne devenue l’adolescente illuminée qui parle à son Dieu dans une confiance absolue, et l’on croit enfin la voir enfourcher son cheval avec une vaillance virile et une endurance de guerrier.
Dans tous ses cheminements intérieurs, que ce soit sa spiritualité naïve, sa fraîcheur, son humour ou son intelligence éblouissante face aux ruses des hommes de pouvoir, on accompagne au plus près de ses sensations la jeune fille. Sa certitude de pouvoir toucher les âmes le plus simplement du monde, avec conviction, sincérité, chaleur, nous atteint comme tous ceux qu’elle croise sur sa route et dont elle nous fait ressentir la présence. Présence. C’est en cela que se joue une partition magnifique. La langue de Laurent Fréchuret est une présence, le corps et chaque intonation de Laurence Vielle en est une, et de ces intensités conjuguées se dégage, loin de tout à-priori de croyance, la présence dans laquelle baigne Jeanne, présence de son Dieu ou de la beauté du monde.
Des bords de la Meuse jusqu’au bûcher, Jeanne, têtue et joyeuse, ne cesse de louer la nature et la vie. Telle que Laurent Fréchuret lui donne chair, elle galvanise les cœurs par la pureté de sa foi. Elle est au-delà du courage, elle incarne la joie inébranlable, combattante et inflexible. Tout défile, Vaucouleurs, Tours, Orléans, Gilles de Rais, les soldats, le procés, le cachot, ce parcours insensé galope au rythme d’une puissance à la fois frêle et indomptable qui s’impose naturellement, par la grâce inhérente au texte et au jeu.
L’auteur a écrit ces pages au fil de plusieurs années, sans trop savoir ce qu’il en sortirait, jusqu’à ce qu’il rencontre Laurence Vielle. C’est alors que l’aventure de la scène s’est imposée afin que sa vision si singulière de Jeanne soit partagée. Lui-même est comédien, auteur et metteur en scène et il a dirigé le Théâtre de Sartrouville qu’il a quitté fin 2012. Laurence Vielle, comédienne bruxelloise, est également auteur. La proximité d’esprit de ces deux artistes débouche avec Sainte dans l’incendie sur une évidente réussite, un prodige de théâtre, qui bouleverse et entraîne le public dans une adhésion qui fait fi de tous les partis pris et préjugés quant au personnage historique. Le récit de Jeanne d’Arc devient une haute aventure poétique qui renoue avec la capacité du théâtre de produire une communion de sensations, sans artifices, au plus près de la quête humaine et du sens de la vie.
Isabelle Bournat
Sainte dans l’incendie
Texte et mise en scène de Laurent Fréchuret
Avec Laurence Vielle
Jusqu’au 28 avril à 21h
Le dimanche 15h30
Relâche les lundis et dimanches 24 et 31 mars
Tarifs : de 11 à 28 euros
Réservations par tél. 01.44.95.98.21
Durée : 1h10
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D.Roosevelt
75008 Paris
M° Franklin Roosevelt
[Visuel : Sainte dans l’incendie. © Stéphane Trapier]
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