Sagan for ever
À l’Artistic Théâtre, Anne-Marie Lazarini réouvre sa saison avec un cabaret musical autour de Françoise Sagan. Trois comédiens et un pianiste nous racontent la vie de ce météorite propulsé vers la gloire à 19 ans, virtuose, fulgurant, mais qui posa sans cesse un regard acéré et enfantin sur le monde avec une suprême liberté. À voir et à entendre pour notre meilleur souvenir.
Bonjour Tristesse
L’image de cette écrivain virtuose, propulsée sur la scène littéraire à 19 ans en 1955 et qui fréquenta les plus grands de ce monde en poursuivant une vie mondaine, signant des romans sur le fil de sa plume légère et grave, écrivant des articles de cinéma et des reportages pour l’Express, Vogue, Egoïste, tout en conduisant des voitures de sport luxueuses et en s’abimant dans l’alcool et la drogue, est restée celle d’une parisienne superficielle qui intéressait peu le gratin des intellectuels des années 60. Anne-Marie Lazarini, patronne de l’Artistic Théâtre et metteur en scène, a décidé de percer cette écorce en nous plongeant dans ses chroniques, miroir d’une époque sur cinquante ans, jusqu’à sa mort en 2003. Dans l’écrin chaleureux d’un théâtre transformé en cabaret, nous faisons cercle autour d’une scène toute nue, surmontée d’un superbe piano noir. Guilherme De Almeida interprète délicieusement les songs et mélodies jazz composées par Andy Emler, prélude à cet intime voyage.
Paris, New-York, Orson Welles et Billie Holiday
Et ce voyage littéraire, sociologique, politique, sentimental, se révèle profondément humain. Car Sagan, percutante, drôle, vive, parfois cruelle dans ses critiques cinéma, se révèle avant tout généreuse, attentive aux autres, sans concession envers toute forme d’intolérance et de racisme. Juliette Gréco, Anthony Perkins, Robert Hirsch, Helmut Berger, Manouche, Bernard Franck, Jacques Chazot, Marie Bell, Barbara étaient ses amis, qu’elle invitait dans sa grande maison de Normandie, leur payant parfois l’essence pour le retour, mais elle se passionnait aussi pour Djamila Boupacha torturée pendant la guerre d’Algérie, les infirmières qu’elle défendait vigoureusement comme on les défendrait aujourd’hui. Elle fait le voyage à Cuba pour apercevoir Castro et dépeindre la foule qui l’acclame, traque la jeune Billie Holiday dans des bouges américains avant qu’elle soit adulée et admire Orson Welles, envers et contre tous, pour son génie créateur. Proust, Pouchkine, Sartre et Camus étaient ses maîtres. Sa tolérance et sa liberté fondamentale se mêlaient à une exigence sans faille pour l’art et pour l’humanité.
Un florilège de textes et de musique
Cédric Colas, Coco Felgeirolles et Frédérique Lazarini nous offrent, de manière charmante, nostalgique et ludique, ces morceaux de vie et de voyages. Ils nous balladent, en musique, au gré des projections de photographies d’époque (scénographie de François Cabanat). Lors de la première représentation, Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, est venue lire un texte de Sagan, qu’elle avait choisi Le Lit. Lecture au débotté, fluide et simple, d’une grande émotion, comme le ferait une jeune comédienne. D’autres invités suivront, proposant leur Sagan à travers un texte au choix. Et on sort du spectacle avec l’envie de redécouvrir cet auteur si mal connu, à la plume si vivante et au cœur à vif. Si libre.
Hélène Kuttner
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