“Sacha contre Guitry” : une passion du théâtre et des femmes
Sacha Guitry, auteur, acteur et metteur en scène à la puissance créative extraordinaire, avait pour père Lucien Guitry, l’un des plus célèbres acteurs de la fin du XIXe siècle. La relation entre le père et son fils devient vite passionnelle, avant de subir un longue et douloureuse période de vide. L’auteur Sacha Danino puise dans cette incroyable histoire de théâtre et de paternité pour filer une autre histoire, au présent, celle d’un fils avec un père absent. Mais pour l’instant le fils plonge dans un livre qui fait revivre Lucien et Sacha, ainsi que leurs épouses et maîtresses dans le Paris d’autrefois. Épatant.
Sacha tout contre Lucien
Ecrire l’histoire d’amour et d’admiration, de jalousie et d’exigence, entre Sacha Guitry et son père Lucien, c’est aussi écrire sa propre admiration d’auteur, avec des mots, des aphorismes choisis pour l’occasion. Sacha Danino, auteur avec Sébastien Azzopardi du Tour du monde en 80 jours et de La Dame blanche, a plongé sa plume alerte pour filer ensemble deux histoires de filiation qui questionnent une fois encore la place d’un père, ou son absence. Au premier plan, Alexandre, joué par Thomas Marceul, cherche sa voie entre une femme hyper-active, campée par Juliette Galoisy, et un enfant qui ne tient pas en place. C’est un doux rêveur, un artiste que son épouse pousse énergiquement à trouver du travail, et qui ira jusqu’à la mairie de son paternel, député-maire, pour tenter de se faire embaucher en tant que communicant. Sauf que le paternel a sauté lors des dernières élections ! Mais Alexandre s’est déjà consolé : il tombe sur l’histoire romancée de Sacha Guitry et de son père et les pages qu’il dévore font peu à peu revivre ces deux fabuleux personnages. Au point qu’il en oublie son épouse, car la projection dans l’histoire des Guitry est bien trop puissante.
Des allers-retours rocambolesques
Il est vrai que l’histoire du père et du fils Guitry est tellement unique, que l’on oublierait presque celle d’Alexandre, notre héros contemporain, dont les déboires conjugaux avec une femme qui le houspille et avec une DRH qui le méprise ouvertement -bref avec sa vie qui part en vrille- prêtent souvent à rire. Mais voici que débarque Lucien Guitry, qu’incarne Dominique Bastien, imposante carrure de séducteur international et verbe haut d’acteur qui aime s’écouter. Il est interpellé par son fils Sacha, que campe Alexandre Guilbaud, impeccable dans un pardessus chic et des lunettes rondes. Tous deux se ressemblent et possèdent l’élégance des héros du cinéma des années Trente. Ces deux-là ne se sont plus parlé durant plus de treize ans. Le motif ? Une femme, Charlotte Lysès, jeune et jolie comédienne qui devint la maîtresse de Lucien, qu’on appelait alors « Divan le Terrible » pour son insatiable appétit des femmes. Mais Charlotte passa des bras du père à ceux du fils en devenant en 1907 l’épouse de Sacha Guitry, son aînée de huit, qui aura une influence majeure sur lui et sur sa carrière d’auteur dramatique. Il faut rappeler que Lucien le père enleva son fils Sacha, âgé de cinq ans, qui était confié à son ex-femme à Paris, pour le ramener auprès de lui à St Petersbourg où il lui fit découvrir l’univers du spectacle et débuter avec lui au théâtre.
L’amour de la scène et des mots
Et c’est bien cela, que raconte cette jolie et piquante comédie, à travers le maillage de ces deux histoires. Quand Sacha, élevé et modelé par son père, décide d’être comédien, Lucien Guitry refuse catégoriquement. Il ne supporterait pas que son fils lui fasse de la concurrence, à l’instar de Mon père avait raison, chef-d’oeuvre de Sacha Guitry qui met en scène un père à la morale cynique, jouisseur, et un fils qui souhaite faire sa propre expérience en s’émancipant. Il y a dans les œuvres de Guitry un peu de son père et beaucoup de lui, et la misogynie que l’on prête à ses personnages raconte aussi sa peur des femmes et sa quête d’un idéal protecteur maternel qu’il n’a pas eu. Alexandre, le héros d’aujourd’hui, semble au contraire en quête de ce père qui ne lui accorde même pas un déjeuner. Dans la mise en scène vive de Ned Grujic, l’action cavale et les personnages, réels ou historiques, apparaissent et disparaissent à la vitesse du son. Comme si présent et passé se mêlaient, comme si tous les personnages n’étaient que le fruit de ceux qui nous ont précédés, comme si le mensonge et la vérité étaient les deux faces de la même pièce. Avec comme dénominateur commun le plaisir du jeu.
Hélène Kuttner
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