“Rouge décanté” ou la parole sanglante d’un homme-enfant
Rouge décanté De Jeroen Brouwers Mise en scène de Avec Dirk Roofthooft Jusqu’au 18 décembre 2015 à 20h Le dimanche à 17h Relâche les 7 et 13 décembre 2015 Tarifs : de 16 à 26 € Réservation Durée : 1h40 Théâtre de la Bastille M° Bastille ou Bréguet-Sabin |
Jusqu’au 18 décembre 2015
Le spectacle présenté en ce moment au Théâtre de la Bastille est un petit chef-d’œuvre qui vit sa vie à travers la Belgique et l’Europe depuis une dizaine d’années. Le comédien qui l’interprète, Dirk Roofthooft, se révèle fabuleux dans le récit que fait Jeroen Brouwers de ses années passées dans un camp d’internement japonais durant la Seconde Guerre mondiale. L’intimité de cette souffrance est mise en scène par Guy Cassiers. Chambre d’échos de l’intime Comment rendre compte de l’horreur des camps durant la Seconde Guerre mondiale, vue par les yeux d’un enfant qui ne va pas encore à l’école ? Un jeune garçon qui, en tant que prisonnier néerlandais, fut contraint de vivre reclus avec ses sœurs, sa grand-mère et sa mère dans quelques mètres carrés de la ville de Djakarta où ils dormaient sous un évier, se terrant comme des bêtes et subissant les sévices et les tortures des soldats japonais au comportement sadique. L’écriture comme un gilet de survie L’écrivain Jeroen Brouwers, né en 1940 dans les Indes néerlandaises, commence Rouge décanté par la mort de sa mère dont il a vécu éloigné de longues années à travers une sorte de mépris haineux, une indifférence revendiquée depuis l’expérience traumatisante d’un passé qui ne passe pas. Les mots, les phrases qui composent le récit sont des cailloux acérés qui expriment beaucoup de révolte, d’incompréhension et de jouissance furtive, volée au néant de l’humain. L’homme regarde vivre l’enfant tué dans son innocente légèreté, mais il écoute aussi l’homme qu’il est devenu, avec une tendresse atrophiée et une incapacité d’aimer raisonnablement ses futures femmes. Technologie de pointe pour une radiographie des sentiments La prestation du comédien Dirk Roofthooft, au centre d’un plateau maculé de flaques d’eau et de carrés d’ardoises dans des lumières rouge sang, est tout simplement éblouissante. Le metteur en scène Guy Cassiers a équipé la scénographie de quatre mini-caméras qui projettent différents angles du corps ou du visage de l’acteur, le déformant parfois à la manière des toiles de Francis Bacon. Ce corps en morceaux, souffrant et chantant, transmet aux spectateurs la profondeur de sa respiration, les modulations de ses gestes et de sa voix par des petits micros qui sont placés autour. C’est impudique, dérangeant, à la limite du supportable par ce que cela raconte. Mais d’une humanité et d’une puissance tout à fait extraordinaires, en ce que la technologie ici porte à un point d’incandescence l’incarnation hors norme d’un comédien. Hélène Kuttner [Photos © Pan Sok] |
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