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Rone et (LA) HORDE : teuf, gravats et décibels

Thomas Hahn 16 novembre 2020
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Room with a view © Cyril Moreau

RONE, star de la musique électronique, est sur le plateau et chauffe l’ambiance dans Room with a view avec la nouvelle troupe du Ballet National de Marseille, où l’on vit une fête clandestine, un effondrement, une révolte, un envol… Les dix-huit danseurs se tiennent prêts, pour envahir Chaillot avec leur rave party apocalyptique.

Room with a View met en scène un effondrement et rend hommage à la force du collectif, au partage et à la rébellion contre un ordre oppressant. Soudés par leur unisson et leurs frappes des pieds, dix-huit jeunes citoyens se jettent dans une bataille de rue face à des forces armées imaginaires. Mais leurs ralentis collectifs ne sont pas moins époustouflants.

Room with a view © Cyril Moreau

Un bloc de pierre haut de dix mètres. Des gravats, eux aussi de volumes impressionnants. Face à ce paysage nocturne, clandestin et apocalyptique, dans cette poussière et cette perdition festive qui parfois fait froid dans le dos, on se croit sous un pont d’autoroute effondré. Mais selon (La) Horde, Room with a view allume le paysage improbable d’une carrière industrielle, quand un DJ emmène une bande de jeunes dans ses envolées. Et les teufeurs le lui rendent bien, dans les bas-fonds d’un monde dystopique où une vingtaine de jeunes laissent éclater leur énergie, leurs pulsions et leurs rêves.

Il est donc à la fois question de construction et d’écroulement, de descente aux enfers et de désir d’envol, d’atavisme et d’une communauté désireuse d’inventer son avenir. Leur DJ, ils le portent aux nues, à mains nues. La nouvelle troupe du BNM ne représente pas une compagnie en train d’interpréter, mais un microcosme de notre société mélangée, sans formatage, où chacun.e affirme sa personnalité, comme dans une teuf réelle.

Et soudain, dans un fracas épouvantable, c’est l’effondrement. Le cube se disloque, le ciel crache des centaines de poissons morts. Catastrophe écologique ou avertissement mystique ? Dans ce désert plus ou moins urbain, les danseurs extatiques évoquent tantôt les Israélites, tantôt Caïn et Abel à l’ère de l’amour arc-en-ciel. Derrière l’extase, la violence connaît des éruptions terrifiantes. Après quoi la communauté se soude quand Rone et sa table de DJ monumentale se déplacent, accompagnés par la foule comme dans une procession, la musique martelant ses basses ou sifflant un requiem électro.

Suite à quoi tous disparaissent en escaladant la pierre, comme s’ils se mettaient à voler. Room with a View : on peut se trouver confiné à des moments, mais il faut continuer à cultiver les visions. Avec l’effondrement permanent des certitudes de la veille qui caractérise cette année 2020, on constate qu’il s’agit là d’une pièce au potentiel parfaitement visionnaire.

Une fois de plus, les trois créateurs chorégraphiques de (La) Horde font un pied de nez aux conventions et ouvrent de nouvelles perspectives, tout en restant fidèles à leur principe de ne pas se servir du CCN Ballet de Marseille comme un instrument au service de leur propre développement, mais dans un esprit d’incubateur. Room with a View est un projet qui appartient autant à eux qu’à Rone et aux danseurs.

Mais il y a péril en la demeure. En mars, la série de représentations de cette rave dramatique s’est brutalement interrompue en raison des mesures qui ont paralysé le pays dans l’espoir de virer le coronavirus de nos villes et pistes de danse. Et pourtant, nous revoilà en reconfinement, et rien ne garantit que les représentations, prévues pour la première semaine de décembre, pourront avoir lieu. Alors que les représentations au Théâtre National de la Danse qu’est aujourd’hui Chaillot, ont justement été programmées spontanément – et c’est en soi un événement rarissime dans le paysage culturel français – pour permettre au public qui en a été privé en mars, de retrouver Room with a view.

Room with a view © Aude Arago

Soyons réalistes : l’acheminement et l’installation d’une scénographie aussi imposante prennent du temps. Et coûtent cher. Il faut donc que la seconde quinzaine de novembre montre de bons résultats, et rapidement, pour qu’on puisse envisager une réouverture des salles de spectacles à partir du 3 décembre, date prévue pour la reprise de Room with a view à Paris.

Soyons optimistes : il a été démontré que les salles de spectacle ne contribuent pas à la propagation du virus. Et il est évident qu’une sortie au spectacle, même dans le respect absolu des gestes barrière, produit des effets stimulants et renforce la défense immunitaire du public. Surtout quand il s’agit d’une déferlante d’énergie conquérante, comme dans Room with a view.

Thomas Hahn

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