“Roméo et Juliette” magnifiquement adapté au Lucernaire
Théâtrale et musicale, l’adaptation réussie signée par Manon Montel au Lucernaire parvient à concentrer en une heure vingt Roméo et Juliette en gardant intactes la beauté et la force de l’œuvre, grâce notamment à une superbe distribution.
S’il fallait résumer en deux mots le travail de Manon Montel, deux adjectifs viendraient tout de suite à l’esprit : fidélité et originalité. Si le respect de la pièce est absolu et donne à voir ou à découvrir le drame sans qu’il n’y manque rien d’important, l’originalité est bien présente : avec une bonne dose d’inventivité, elle nous permet de nous replonger dans la Vérone des deux célèbres amants. Tout est fait pour que nous retrouvions le tourbillon incessant, la poésie et la trivialité, la joie et le drame qui marquent la pièce de William Shakespeare dont la notoriété nous épargne tout résumé.
L’on s’amusera, néanmoins, à dénicher dans la richesse de ce texte foisonnant cette citation intemporelle et cruellement lucide : “L’amour des jeunes gens n’est pas vraiment dans le cœur, il n’est que dans les yeux.” Très jeunes gens en effet puisque Juliette est censée n’avoir que 14 ans (!) et que Roméo ne fait pas trop de difficultés pour changer de passion un peu comme de chemise : l’un des drames les plus terribles du répertoire est donc bien, avant tout, une histoire d’adolescents !
Mais revenons sur l’exploit de Manon Montel qui réside dans le fait de créer un moment de théâtre à part, adaptant sans trahir, restituant la substantifique moelle, en restant, si l’on ose dire, toujours dans la ligne éditoriale ! L’esprit de l’œuvre étant plus que jamais présent ici, on notera le choix ô combien judicieux, pour toujours aller à l’essentiel, de jouer sans décors ni fioritures. Afin de pallier cette frugalité (permettant au jeu des acteurs de s’épanouir), la metteur en scène a fait appel à un soutien musical de premier ordre, donnant tout son sel à cette création. Samuel Sené, chef d’orchestre et compositeur ayant montré combien il était aussi homme de théâtre avec notamment Un Chant de Noël ou Comédiens !, a créé pour violoncelle, accordéon, guitare et voix une superbe partition venant généreusement supporter le récit et nourrir les moments chorégraphiés.
Ne restait plus alors pour apprécier cette belle architecture qu’une troupe au diapason. C’est bien ce que nous avons avec les six comédiens qui occupent le plateau. Claire Faurot, en plus d’accordéoniste, est une nourrice parfaite, chantant et donnant les noms d’animaux les plus doux à sa Juliette qu’incarne avec une vérité criante Manon Montel. Xavier Berlioz montre d’entrée qu’il peut remplacer avantageusement le chœur et, surtout, incarne Frère Laurent avec une exceptionnelle vérité. Thomas Willaime est un fougueux et séduisant Roméo, ami à la vie à la mort de Mercutio, solaire et vibrant Léo Paget maniant aussi bien le verbe que la guitare, ennemi du seul Tybalt, provocant, incisif, le très brun et ténébreux Jean-Baptiste Des Boscs aussi convaincant au poignard qu’à l’archet… de son violoncelle.
Tous nous donnent tant de plaisir dans ce moment unique que l’on ne peut, à aucun moment, regretter cette adaptation raccourcie, dont acteurs comme spectateurs sortent grandis !
Philippe Escalier
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