Roméo et Juliette de Sasha Waltz : un spectacle total
Pour la reprise de cette chorégraphie de Sasha Waltz créée par Aurélie Dupont et Hervé Moreau à l’Opéra de Paris en 2017, danseurs et chanteurs se croisent de nouveau dans la scénographie conceptuelle comme pour mieux concentrer le drame des amants de Vérone. Danse et musique sont ici les amants intemporels et c’est superbe.
Un romantisme sombre
Rien de plus fort pour la chorégraphe allemande que le romantisme sombre, désespéré, que propose le drame de Shakespeare et dont Hector Berlioz transpose avec Emile Deschamps le récit. Ramassé, concentré sur les épisodes principaux entre les amants, ne s’attardant pas sur les multiples détails historiques et aux combats d’épée en les résumant grâce aux choeurs, l’opéra de Berlioz précipite l’intrigue vers la mort comme en quelques scènes. Une BD tragique en quelque sorte, que Sasha Waltz s’amuse à façonner avec du noir et du blanc pour différencier les Montaigü et les Capulets. Pour tout décor, les pages immenses d’un livre ouvert, comme un promontoire en suspension où l’amour passionné, furieux, semble arrêter la course du temps. Mais une fantaisie et une inventivité chorégraphique de chaque instant qui font la spécialité de l’artiste.
Un vocabulaire de la « danse contact »
Pieds nus dans des corps à corps particulièrement intimes, les deux duos qui se produisent en alternance dans cette production se sont longuement frottés au vocabulaire de Sasha Waltz qui démultiplie les figures en cassant l’aspect classique. L’énormité du décor, la beauté de la partition, la puissance des choeurs présents sur la scène et des chanteurs, ne révèle que davantage le magnifique travail des danseurs. Amandine Albisson et Hugo Marchand forment un couple à la sincérité et au naturel éblouissant, acrobates enfantins d’un désir brulant lorsqu’ils pirouettent dans des pas de deux haletants ou qu’il s’élancent en diagonale en faisant jouer le poids de leurs corps. Dès lors, l’énergie est constante dans ce spectacle, que ce soit dans le couple Roméo et Juliette ou les scènes d’ensemble. Une énergie vibrante, brûlante, qui passe autant par les corps que par la musique.
Violence et douceur
Le romantisme de la musique fait passer le spectacle par toutes les couleurs des sentiments. Tragique avec l’envolée lyrique et physique d’Hugo Marchand, immense aigle noir qui plane et se cabosse sur la page blanche, ludique avec les choeurs costumés de manière enfantine, chapeautés comme dans un conte pour enfants, sportive par l’énergie terrienne déployée par les danseurs, qui sont doublés par Julie Bouliane, Yann Beuron ou Nicolas Cavalier, basse à la diction parfaite. Les chanteurs prennent donc physiquement part au spectacle, et on aurait souhaité qu’ils soient surtitrés pour mieux saisir le livret. Mais la beauté des séquences qui se succèdent, élan de passions contrariées qui pourraient totalement êtres les nôtres aujourd’hui séduit totalement le spectateur. Une danse accessible, sensuelle, actuelle, dont la perfection des danseurs assume l’humanité profonde des personnages. Audric Bezard incarne le personnage du Père Laurence avec beaucoup de caractère et le chef Vello Pähn conduit parfaitement l’orchestre. Un spectacle total.
Hélène Kuttner
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