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Romeo Castellucci – interview

23 avril 2013
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The Four Seasons Restaurant - Théâtre de la Ville

Il n’y aura pas de manifestation devant le Théâtre de la Ville, comme en novembre 2011 pour Sul concetto di volto nel figlio di dio. Cette fois-ci, l’Opus Dei ne trouvera rien à redire. Mais le spectateur doit plus que jamais accepter un voyage vers l’inconnu.

Le titre The Four Seasons Restaurant se réfère au peintre Mark Rothko, alors qu’il n’apparaît pas comme personnage, ni à travers une référence concrète à ses tableaux. Quel est le rapport entre la pièce et son titre?

C’est l’image et l’acte de la regarder. Rothko concevait ses tableaux comme une sorte d’appel, comme une tache de couleur qui correspond à un manque et ce manque est un espace spirituel pour le spectateur. Regarder devient un acte de conscience, alors que dans la vie quotidienne, nous sommes toujours les victimes des images. Regarder une œuvre peut donc représenter un acte de réflexion profonde. En notre époque, laquelle est malade par rapport à la parole et à l’image, ce n’est pas du tout un geste innocent. La quantité impossible d’informations engendre le vide et l’impossibilité de choisir, jour par jour, la bonne image. Aujourd’hui la culture, c’est savoir choisir.

Hölderlin s’enferma dans une tour et on le disait fou. On entend ici, vaguement, son drame inachevé qui est consacré à la légende selon laquelle le philosophe Empédocle, atteint de mélancolie, se suicida en se jetant dans l’Etna. Mais le titre du spectacle est le nom du restaurant newyorkais dont Rothko allait décorer les salons en créant une série de tableaux.

Et Rothko a d’abord réagi en créant une quarantaine de tableaux abstraits et très sombres, avant de se refuser totalement à ce jeu qui consiste à utiliser les œuvres de façon décorative. La série est aujourd’hui exposée dans une salle spéciale de la Tate Modern à Londres.

Vous travaillez donc sur le retrait, d’autant plus que les autres références dans The Four Seasons Restaurant concernent les trous noirs de l’univers et la nouvelle de Nathaniel Hawthorne, Le Voile noir du pasteur, où le personnage décide de se voiler le visage, tout en continuant son travail, et sans jamais expliquer son geste, ce qui se rapproche d’une performance artistique.

Absolument. L’acte du prêtre chez Hawthorne est autant esthétique que philosophique. La nouvelle de Nathaniel Hawthorne est basée sur un fait réel. Le génie de l’auteur est de ne jamais donner la réponse à la question pourquoi le pasteur se voile le visage. Dans les villages de l’époque, le prêtre est aussi le juge et le professeur, voire le père. Il est le centre de la communauté. L’acte de se retirer provoque l’implosion de ce microcosme. Le prêtre, Empédocle et Rothko questionnent la communauté, son image et son langage.

Dans The Four Seasons Restaurant, vous évoquez le théâtre et son langage, mais ce faisant vous le faites disparaître, ou au moins son image habituelle.

Mon image de départ était basée sur les formes du passé comme un mauvais théâtre déclamatoire et rhétorique du XVIIIe siècle ou le cinéma muet qui agissent tel un masque, de façon à ce que même le langage devient un masque, ou un costume. C’est pourquoi la moitié du texte est enregistrée et diffusée par des haut-parleurs que nous avons nous avons cachés dans les costumes. Ce sont les costumes qui parlent. Les femmes et leurs corps sont libérés.

Les images sont aussi belles qu’énigmatiques. Les femmes qui se retrouvent dans un gymnase pour chuchoter la pièce de Hölderlin portent des brassards rouges, des armes et le drapeau des Etats confédérés du Sud de la guerre de sécession américaine.

Elles ont une guerre à mener et sont prêtes à se battre, mais ne sont pas vraiment capables de prendre les armes. Sont-elles une armée de libération ou un commando terroriste ? Leurs mitraillettes se révèlent être des instruments qui donnent la vie. Il s’agit peut-être de la bataille de la vie. Le chant d’Empédocle, c’était peut-être ça.

Elles passent par une fente, faite des bras de deux autres femmes, comme si elles venaient au monde. Suite à quoi elles se déshabillent.

Pour moi ce sont des corps qui se libèrent. Comme une mise au monde inversée. Au lieu de couvrir le bébé qui vient au monde nu, on le découvre.

Faut-il considérer The Four Seasons Restaurant comme un non finito?

A la fin on aura accompli un voyage dans le trou noir, dans les origines du théâtre, dans ses possibles, dans l’origine du monde et de la poésie. Bien sûr, j’exagère. Un tel projet est impossible. Mais il faut travailler l’impossible.

Thomas Hahn

The Four Seasons Restaurant 

Mise en scène, décor & costumes : Romeo Castellucci

Musique : Scott Gibbons

Du 17 au 27 avril 2013
Du mardi au samedi à 20h30
Le dimanche à 15h

Durée : 1h20

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris 

www.theatredelaville-paris.com

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