“Romances inciertos”, une pièce solaire au CENTQUATRE-PARIS
Romances inciertos, un autre Orlando est une création qui est à la fois concert et pièce chorégraphique. Par ses aspects intemporels et inattendus, cette pièce ancrée dans la culture espagnole apparaît déjà comme un classique. Elle est actuellement à l’affiche du Festival Séquence Danse Paris au CENTQUATRE-PARIS.
La pièce d’une grande qualité esthétique et sonore a demandé quatre années de recherches pour assembler différentes sources musicales et artistiques en particulier des XVIe et XVIIe siècles. Sur scène, François Chaignaud incarne des personnages inspirés de l’univers espagnol. Il est accompagné de quatre musiciens sur instruments anciens : bandonéon, violes de gambe, théorbe – guitare baroque et percussions.
Danses audacieuses sur des échasses
À l’image de l’Orlando de Virginia Woolf (1882-1941) qui traverse quatre siècles, Romances inciertos se structure en trois actes par la présentation de personnages pittoresques. Doncella guerrera, déguisée en soldat, s’en va à la guerre, le visage dissimulé sous un casque. Au second acte, l’archange San Miguel inspiré du poème de Frederico García Lorca (1898-1936) propose des danses audacieuses sur des échasses qui se poursuivent sur les pointes, dans une jota inédite. Au dernier acte, Tarara, gitane andalouse, amadoue le public par son tempérament extravagant. Avec ce personnage, François Chaignaud offre des facéties et des moments d’humour qui semblent improvisés.
Tout au long de la pièce, des langages musicaux et dansés de styles différents sont réunis dans une liberté créative. Romances inciertos a été conçue par François Chaignaud, chanteur, danseur-chorégraphe et Nino Laisné, plasticien protéiforme qui est à la direction et à la mise en scène. Les deux artistes passionnés par la culture hispanique ont mené un travail transversal à partir d’un ensemble de musiques espagnoles, de poèmes, de chants. Sur scène, François Chaignaud joue sur l’ambiguïté et les normes de représentations. Inventif et très doué, ses costumes nourrissent sa fantaisie et l’univers dans lequel évolue ses personnages à l’identité trouble. Le plaisir artistique d’être sur scène se ressent même si les compositions successives sont très physiques et exigeantes.
Expressions gestuelles et vocales étonnantes
François Chaignaud danse et chante en majesté, en écho aux ballets de Cour. Il tournoie entre beauté et perfection. Les transformations valorisent des expressions gestuelles et vocales étonnantes. Le corps devient des corps et se réinvente par le jeu, le maquillage, les costumes, et aussi le souffle, la musculature. La voix change également de registres selon les compostions. Quand le chanteur-danseur est hors champ pour la préparation d’un autre rôle, les musiciens prennent le relais dans de superbes interludes. Les partitions hypnotiques transportent et évoquent la mémoire musicale de l’Espagne. Les musiciens participent aussi à la dynamique du décor en élevant les panneaux-tapisseries. A l’acte II, ils portent San Miguel qui se meurt, et le déchaussent des échasses : à demi-allongé, les jambes se positionnent en équerre puis en ligne droite.
François Chaignaud a commencé la danse dès l’âge de six ans, il déploie sur scène une grande vitalité. Ses mouvements deviennent des figures presque graphiques. Les éléments de dramaturgie sont présents par l’intonation des mélodies et les attitudes des personnages. Mais Tarara amuse le public par ses excès. C’est une Diva qui apparaît sous les feux de la rampe – l’escalier du CENTQUATRE-PARIS – dans une longue robe à motifs bleutés, sur de très hauts talons. Le visage est une nouvelle fois transformé. Au son des castagnettes, elle pousse au plus loin le pouvoir de la séduction et se mêle au public, conquis ! Le regard langoureux, elle s’abandonne au flamenco pour tenter d’oublier un amour déçu. Après plusieurs voyages scéniques, François Chaignaud devient un jeune homme à la sensualité renouvelée, torse-nu sous des bretelles, il porte un pantalon moulant et affronte la scène tel un toréador.
Le danseur-chorégraphe est extraordinaire quand il danse avec les échasses. Le silence parmi le public est alors absolu. Il saute, sautille, tournoie sur lui-même dans une jupe jaune évasée. Il lève les jambes, joue des avant-bras jusqu’à ses délicates mains. Epoustouflant dans le chant, la danse, le jeu, il est entouré de grands musiciens dont les instruments s’écoutent autant qu’ils se contemplent.
Les multiples emprunts de cette création hybride constituent une pièce très dense, difficile à oublier.
Fatma Alilate
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