Robert Lepage est le divin Marquis de Sade à la Colline
Le grand metteur en scène québécois Robert Lepage pose ses valises pendant 12 jours à Paris pour incarner le maître du désir et de la liberté, le Marquis de Sade, durant son séjour à la prison des aliénés de Charenton. Décor tout en miroirs multiples, costumes d’époque, la soirée théâtrale est une ode au désir et à la philosophie dans la plus pure tradition du libertinage : kitsch et divine.
Un poète chez les aliénés
Robert Lepage et son camarade Jean-Pierre Cloutier se sont attaqués à une pièce écrite par l’Américain Doug Wright, dans les années 90 pour dénoncer la vague de censure envers les artistes plasticiens à cette époque. La pièce est devenue, il y a quelques années, un film réalisé par Philipp Kauffman. L’adaptation française, en action dans la pièce, sert magnifiquement la prose élégante de Sade et en concentre le cheminement, la force vitale, l’ironie et le courage durant ses dernières années de vie à Charenton. Le spectacle débute en effet dans le bureau du nouveau médecin-chef de l’hospice de Charenton, où Sade bénéficie encore d’un traitement de faveur. Après des années passés à croupir dans les geôles de la Bastille, de St Lazare et de Picpus, on l’enferme chez les fous mais sous la protection d’un Abbé, Coulmier, ange descendu du ciel qui pense réhabiliter son âme par la pratique théâtrale. Sade écrit donc des scènes, pour les fous mais aussi pour le tout Paris qui se presse pour écouter ces paroles démoniaques.
Un libertin abreuvé aux mamelles de l’Eglise
Le spectacle débute donc dans le bureau du tout nouveau médecin, Royer Collard, dans les années 1800. Les dorures impériales, les drapés romains font place au kitch de sièges en plastique transparent Knoll et aux jeu de miroirs infinis. Le médecin est un rustre adipeux qui se prend pour Napoléon et souhaite construire un palais pour son épouse infidèle. Face à lui, la femme Renée-Pelagie, furieuse et vorace, ordonne du médecin un traitement sédatif pour son infâme époux. On comprend l’aspect diabolique du Marquis, son influence libertine entièrement débarrassée de la morale publique, par ce prologue un peu longuet. Le meilleur arrive avec son incarnation avec un Robert Lepage gainé dans un costume précieux, cheveux longs et talons rouges comme celui du Diable.
Une prose puissante
Lepage transfigure le héros, car il en distille la saveur exemplaire des mots, la préciosité du style et la jouissance irrévérencieuse du pugilat. Dans son alcôve rose framboise, muni de sa plume d’autruche au stylet cruel, il balance ses diatribes, ses fables, ses argumentaires révolutionnaires et torrides. Contre l’Eglise, qu’il accuse de fomenter la révolte libertine par les contritions excessives, contre les hommes, censeurs des femmes et du désir conjugal, contre la société et la morale publique, qu’il accuse d’accoucher des aliénés enfermés avec lui dans cet hospice de Charenton. Le texte de la pièce tente d’être à la hauteur de la prose sulfureuse et superbe de Sade, et y réussit souvent. Le jeu des acteurs, la scénographie, grâce à son plateau tournant qui alterne les pièces et réfléchit l’image des spectateurs de la salle pour amplifier la schizophrénie ambiante, y sont pour beaucoup. Mais avant tout, ce superbe spectacle est une ode à la liberté d’expression, à la littérature et à l’imaginaire que l’on ne peut jamais bâillonner totalement. Sade dépecé par un Abbé devenu violemment fou, langue arrachée, pieds et mains coupées pour ne plus jamais écrire, aura déjà diffusé oralement suffisamment de venin pour les prudes. Ce graphomane inspiré, révolutionnaire et amoral, aura passé trente ans de sa vie en prison.
Hélène Kuttner
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