Rien, plus Rien au Monde : où l’ironie côtoie la noirceur humaine
Rien, plus Rien au Monde Auteur de Massimo Carlotto Mise en scène de Fabian Ferrari Avec Amandine Rousseau À partir du 6 novembre 2016 Plein tarif : 22€ Réservation en ligne ou par tél. au 01 42 01 81 88 Durée du spectacle : 1h05 Théâtre de la Contrescarpe |
Jusqu’au 26 décembre 2016Amandine Rousseau est une comédienne sensible et touchante. Elle apporte le réalisme qu’il fallait au récit de Massimo Carlotto, l’auteur, par la simplicité de sa gestuelle. Son interprétation fait pendant à la sobriété du décor : un séjour, la table, quelques objets d’une collection kitch posés là comme un plan fixe pour servir le douloureux plan séquence que lui impose Fabian Ferrari, metteur en scène. Dans un développement artistique fort prenant, où l’ironie côtoie la noirceur, cette question semble se poser: est-ce la pauvreté qui pousse une mère à ses extrémités ou bien plus prosaïquement, est-ce l’alcool qu’elle ingurgite ? En fait, c’est plus profond que ça, un fait de société ! Action ! Voilà la vie de Juliette qui ressemble à celle de ces milliers d’autres femmes qui vivent avec mari et enfant (la petite), aux prises avec les soucis financiers permanents : le loyer, les courses, les charges d’eau et d’électricité et moins que le Smic pour ne pas vivre. A la différence de beaucoup d’entre elles qui malgré l’adversité donnent un sens à leur vie, celle-ci s’invente des surprenantes frontières pour ce qu’elle estime être la réussite. Devant le témoignage qu’elle nous apporte du vide de sa vie et de l’inutilité de son existence, on comprendra qu’elle rêve d’un autre ailleurs, pour elle et pour sa fille. Elle boit, elle boit plus qu’il n’en faut et tourne en rond dans ses espérances d’une vie meilleure qu’elle limite, puisque c’est visiblement son seul horizon, aux paillettes des stars et au succès des midinettes. Avec la voisine du-dessus, coiffeuse, qui lui fait une coupe une fois par semaine, c’est moins cher. Mais c’est quand même de l’enfermement. Jamais de joies dans sa pauvre vie, ni restaurant, ni ciné, ni vacances. C’est en tous les cas, ce qu’elle nous dit, nous qui pourrions penser qu’elle se l’inflige. Cependant, tout nous laisse voir en filigrane, que c’est la société qui a la capacité d’influer de la sorte sur le cours des choses. La politique urbaine des grands ensembles semble visée par la dramaturgie de M. Carlotto qui fait comme une introspection dans ce que fabrique la ghettoïsation sociale. Juliette déteste Mmes Mazo et Bodingo, ses employeurs, chez lesquelles elle fait des heures de ménage. Comme cette autre Mme Pujol qui vote FN, elle soutient que la France doit passer en priorité aux Français et verrait bien les Etrangers repoussés dehors. Ni plus ni moins. Ce qui la porte à dénoncer son voisin à la police comme irrégulier, clandestin dans le pays dont on apprendra qu’il est le gentil petit ami de sa fille. Le poids écrasant de la société de consommation sur la classe ouvrière Le pire pour elle étant d’économiser et de ne rien avoir à faire. Le mari semble absent malgré sa présence inexistante, réfugié dans son ermitage télévisuel, le foot ou autres émissions. Est-ce un «naze» ? Est-il vraiment responsable de sa démission ? Il est là, dans l’air de la maison, ventousé à sa télé comme l’arapède au rocher. Pourrait-il entendre ce texte déchirant interprété par Michèle Tor sur une musique de François Valéry qu’elle chante en duo avec le CD ? « Ce soir j’ai envie de me faire belle pour toi comme par le passé / Ton fauteuil, ton journal, tes cigarettes et la télé /Ce soir laisse-les de coté/Emmène-moi danser ce soir » Est-il le Bel Indifférent” de Cocteau, arrimé à son journal quotidien ? Est-ce la pauvreté qui les pousse à leurs extrémités ou bien est-ce plus prosaïquement l’alcool qu’elle ingurgite ? On a un doute puisqu’en France 20% de foyers sont aisés et que cela ne signifie pas que les 80% restant soient tous alcooliques. A sa fille qu’elle appelle « petite » malgré ses 20 ans, elle hurle : « Tu veux avoir ma vie ? » Rien, rien au monde ne remettra les choses en place Que sa fille puisse choisir le même destin que le sien est au-dessus de ses forces, écrit Massimo Carlotto qui décrit cet enfer confondant, entre caricature et réalisme. La découverte du journal que tient sa petite lui semble insurmontable puisqu’elle y découvre que, somme toute, elle a la vie normale d’une fille de son âge, avec son amoureux désormais doublement clandestin. Tout cela finit par l’anéantir comme elle anéantit joyeusement sa bouteille de vin, ce qui nous le verrons n’arrangera pas les choses.
Patrick duCome [Crédit Photos 1 et 2 © Francoise Beauguion] Interview d’ Amandine Rousseau Comment avez-vous appréhendé Juliette, une telle mère ? Je m’imprègne du personnage à travers l’écriture, le déroulé de l’histoire, le propos, beaucoup d’échanges avec le metteur en scène. Je me suis inspirée aussi de mon parcours professionnel, des rencontres que j’ai faites en tant qu’éducatrice. Je m’efforce d’être dans le non-jugement mais de m’appuyer sur l’humain, le texte et la technique. Malgré des situations drolatiques, le texte soulève un sujet grave… Bien sûr la culture doit aussi distraire , offrir des bulles de rèves, d’ailleurs… mais je pense qu’elle peut et doit aussi servir à éveiller, interpeller, faire réfléchir et faire ressentir… faire bouger l’Autre de l’intérieur et ce rôle, ce texte me donne la possibilité de faire tout ça, j’ai aussi envie de défendre un théâtre social, engagé. En tout cas c’est ce à quoi j’aspire. A 22 ans, vous avez été éducatrice spécialisée pendant prés de 15 ans. Cela aurait-il pesé sur votre choix ? De la psychiatrie au foyer de l’enfance, de centre d’accueil pour femmes victimes de violences à celui pour “personnes sans papiers” , ces rencontres singulières empreintes de toutes sortes d’humanités, sont de celles qui vous élèvent et vous abîment à la fois…mais surtout elles m’ont définitivement liée à l’humain… à la rencontre. Voyez-vous, pour moi, le théâtre et le cinéma rassemblent toutes ces passions. Etre comédienne comme être éducatrice, c’est une manière d’être au monde, singulière, d’être avec l’Autre, de mettre en lumière l’ombre… tout est lié… C’est sans doute pour ça que les mots de Giorgio Strehler me font tant écho ? Je les cite : «J’aime sentir en moi les larmes ou le rire, j’aime les susciter, j’aime expliquer, corriger, exciter, faire croître, changer, faire changer. J’aime les rapports avec les autres humains. J’aime le théâtre parce qu’il est humain! Je fais du théâtre parce que l’on y fait ‘‘de l’humain’’ chaque soir.» Quelle votre rapport avec le théâtre d’auteur italien ? Jusqu’ici j’avais joué Goldoni. C’est Fabian Ferrari qui m’a fait découvrir Massimo Carlotto qui est d’ailleurs un auteur de romans et non de théâtre. Je connais moins les Italiens auteurs de théâtre. Par contre, le cinéma de Nani Moretti me touche. Est-ce la pauvreté qui pousse cette mère à ses extrémités ou bien est-ce, plus prosaïquement, l’alcool qu’elle ingurgite ? C’est un mélange des deux et même plus. Je veux dire que sa pauvreté, ses difficultés font qu’elle se réfugie dans la télé et l’alcool. Et les gens aisés peuvent aussi avoir des problèmes d’alcool, pour le coup c’est un symptôme universel. Juliette s’est résignée, elle ne voit pas d’issue possible, elle est fataliste. Je crois que ce qui la pousse dans ses extrémités c’est l’accumulation de tout cela : la solitude, la frustration, ses rêves perdus pour elle et pour sa fille se rendant compte que la petite ne la “sauvera” pas, voire qu’elle déteste sa mère. Juliette n’a pas de reconnaissance, de perspectives d’avenir, elle n’existe dans le regard de personne et ne pas se sentir exister peut rendre fou… Ce qui ne signifie pas que c’est ce qui se passe pour toutes les personnes confrontées à des difficultés identiques, heureusement d’ailleurs. Mais le système a tué quelques chose en elle, qu’elle n’a pas su, pas pu combattre. Votre travail en cours… « Miracle en Alabama » ? En effet, je joue aussi en ce moment dans l’est de la France**. « Miracle en Alabama » est une pièce écrite par William Gibson 1914-2008, traduite par Marguerite Duras et Gérard Jarlo, sur l’enfance d’Helen Keller, qui vers 1 an et demi est devenue sourde-muette et aveugle par suite de maladie. La pièce se situe au moment où vers ses 6 ans, ses parents font venir Annie Sullivan, un professeur qui parviendra à lui apprendre à communiquer tant avec la langue des signes que par le toucher. Je joue le rôle d’Annie Sullivan. Ce magnifique spectacle, mis en scène par Lorelyne FOTI, traite de l’enjeu de l’éducation essentielle à l’éveil de la conscience. Helen Keller a eu un parcours incroyable et s’est battue toute sa vie pour le droit des femmes, des personnes handicapés. **ndlr. Théâtre de la Madeleine – Scène conventionnée de Troyes. Propos recueillis par Patrick DuCome Note sur Helen Adams Keller (27 juin 1880 à Tuscumbia, Alabama – 1er juin 1968) Helen Adams Keller est une conférencière et militante politique américaine. Bien qu’elle fût aveugle, sourde, et muette au début de sa vie, elle parvint à devenir la première handicapée à obtenir un diplôme universitaire. Sa mère l’a accompagnée dans un Institut spécialisé, afin de trouver des solutions à son handicap. Cette solution s’appelle Anne Sullivan, jeune malvoyante de 20 ans et ancienne étudiante de l’Institut. Anne qui arrive chez les Keller, le 3 mars 1887 (“le jour le plus important dont je puisse ne souvenir”) est essentielle dans la vie d’Helen, et restera à ses côtés des dizaines et dizaines d’années. Elle apprit à Anne à communiquer avec ses mains en formant des lettres. La détermination Helen Keller a suscité l’admiration, principalement aux États-Unis. Elle a écrit 12 livres et de nombreux articles au cours de sa vie. Son autobiographie Sourde, muette, aveugle: histoire de ma vie a inspiré la pièce, puis le film, « Miracle en Alabama ». (Source Babelio.com)
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