Rhinocéros au Théâtre de l’Essaïon, une lutte contre la rhinocérite
Rhinocéros © Arnaud Perrel
Un lieu chargé d’histoire, une ancienne cave médiévale de l’ancien hôtel de l’Aigle d’Or, un cadre intimiste, c’est au Théâtre de l’Essaïon que sont accueillis les spectateurs qui viennent assister à la pièce Rhinocéros d’Eugène Ionesco.
Dans cet écrin de pierre, le public se presse et piétine devant la salle en attendant de pouvoir entrer. Dix-neuf heures tapantes, les portes s’ouvrent, une petite poignée de spectateurs prennent place sur les fauteuils de velours rouge au cœur de cette cave voûtée. La proximité entre individus et comédiens est assurée dans ce lieu. Quelle surprise pour les spectateurs qui, après s’être installés sur leur siège, lèvent la tête, regardent droit devant, et voient sur scène, un homme, immobile, se tenant debout. La surprise et les quelques rires confus laissent vite place à un silence pesant et à l’affût d’un quelconque geste ou bruit de ce comédien. Au Théâtre de l’Essaïon, finis les habituels discours d’accueil et de mise en garde contre une sonnerie de téléphone. Au bout d’une longue minute, l’homme s’anime et la pièce commence.

© Arnaud Perrel
Un jour, en ville, un rhinocéros apparaît. Peu à peu, les habitants comprennent que ce sont les humains eux-mêmes qui se transforment en cet animal. Parmi ce chaos bestial, un homme s’oppose à la métamorphose. Le public suit la résistance de Béranger, pris pour un vieux bougre rongé par l’alcool par l’ensemble de ses camarades, mais qui apparaît comme le plus lucide dans ce désaccord face à l’abdication humaine.
Campé par Stéphane Daurat, le comédien se présente au public dans toute sa vulnérabilité, pieds nus et affublé de ce qui semble être un pyjama. Cette vulnérabilité s’accompagne d’une mise en scène sobre, seulement un lit, un petit bureau et une chaise, permettant au comédien d’occuper tout l’espace. Cette scénographie signée Catherine Hauseux, donne au spectateur une sensation de toute-puissance du protagoniste. L’attention est captivée par le comédien lui-même et non parasitée par des éléments de décors qui pourraient prendre une place trop importante. Seul sur scène, Stéphane Daurat ne joue pas seulement Béranger, mais campe tous les personnages de la pièce. Avec virtuosité, il incarne entres autres l’émouvant Béranger, le fier Jean et la frêle Daisy. Quelques éclats de rires s’élèvent dans la salle, lors de ses changements d’attitude entre Daisy et le chef de service Monsieur Papillon. Le corps est au service de l’interprétation : changements de voix, gestuelle et expressions du visage confèrent l’idée même, que la scène est traversée de toute part par différents individus alors qu’elle est occupée par une seule personne. Les quelques objets présents, une carafe d’eau, un rhinocéros en papier ou un morceau de pain deviennent des personnages à part entière dans les mains de Stéphane Daurat qui les fait s’animer.

© Chantal Palazon
Le public se laisse porter entre la détermination de Béranger qui se cramponne à son humanité et à l’habitude qui s’installe peu à peu chez les autres personnages face à cette rhinocérite aigüe. Cette lutte est perçue encore plus facilement avec la seule présence de Stéphane Daurat qui incarne ce conflit et les doutes qui envahissent les personnages. Le paroxysme de ces interrogations est atteint lors d’un violent conflit éclatant entre Béranger et Daisy, seuls humains restants, cette dernière est de plus en plus séduite par l’idée de devenir à son tour animal. Le comédien parvient à faire ressentir au public la souffrance respective des deux personnages, mais également leur mal-être. Mal-être présent chez Daisy car étant encore humaine, elle apparaît comme différente de ses autres congénères ; mal-être chez Béranger qui, rongé par ses angoisses intérieures se refuse à tout enrôlement malgré sa peur de perdre Daisy.
La salle suit la solitude progressive de Béranger, qui se retrouve bientôt être le dernier humain parmi ce troupeau de rhinocéros. Elle retient son souffle face à l’ultime questionnement de Béranger sur son humanité. La musique jouée au début de la pièce retentit de nouveau, le comédien reprend sa place initiale, recommence à plier le rhinocéros en papier et la pièce se termine. Ce dernier instant laisse en suspens le public qui à la fois se demande si cette fin est la répétition du début et l’incarnation de la résistance face à la transformation ; ou bien une métaphore de sa métamorphose.

© Arnaud Perrel
Cette pièce, dénonçant un conformisme et une acceptation fataliste est toujours d’actualité et encore plus en cette période. La mise en scène moderne et la virtuosité du jeu insufflent un souffle nouveau à la pièce qui pourra convaincre même les plus réticents à apprécier l’histoire.
Valentine Tankéré
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