Rêvez ! – Théâtre des Déchargeurs
Le titre de ce spectacle est une invitation à s’interroger sur le rêve et ses effets à une période précise de l’histoire.
Il s’agit de rêves d’hommes et de femmes ordinaires compulsés par Charlotte Beradt opposante au regime Hitlérien. Parmi les rêveurs dont elle recueille les rêves, on trouve les gens qui lui son familiers, ceux de son quotidien comme un médecin, un voisin, un laitier, un ophtalmologiste… Charlotte Beradt semble appliquer au pied de la lettre la citation de Walter Benjamin : « rendre compte d’une époque c’est aussi rendre compte de ses rêves ». De là, de 1933 à 1939, Charlotte Beradt grâce à cet outil qu’est le rêve réalise donc un vrai travail de mesure de la maltraitance du nouveau régime en Allemagne sur les âmes à cette époque.
Riche travail sur l’émotivité, les affects des êtres contraints à l’insertion dans un régime totalitaire, pas moins de trois cents rêves sont ainsi collectés et envoyés à l’étranger en vue d’être publiés. Contrainte à l’exil, Charlotte Beradt ne les fait publier vraiment sous la forme d’un œuvre qu’en 1966.
Laure Godfrin met en scène la pièce avec la conscience qu’il faut vivre cet instant de théâtre comme un moment de réflexion pour qu’à travers le passé on ne perde pas de vue le présent. Comme l’auteur, Laure Godfrin donne crédit au contenu manifeste des rêves. Elle sait que ce travail psychique hallucinatoire et inconscient peut donner des indices sur une atmosphère, un courant de pensée et peut représenter une preuve irréfutable de la toxicité d’un sujet sur la partie la plus intime de l’être. Ecrire l’histoire des mentalités et des sentiments par une collecte de rêves c’est ce que l’œuvre de Charlotte Béradt réussit à nous faire concevoir comme un outil ayant valeur d’archive , un outil de mémoire tourné vers le futur pour que l’atroce ne se réplique pas.
L’actualité des rêves de Charlotte Beradt n’est finalement pas si lointaine de la nôtre avec la montée incidieuse encore d’idées extrémistes et nationalistes ici et là, chez nous et ailleurs. C’est ce que la mise en scène veut pointer du doigt.
Tout participe à inquieter le spectateur et c’est bien là le but escompté . Le ton, la gestuelle des comédiens, leurs costumes et leurs masques s’agrègent à l’édifice pour faire passer le message et interpeller.
Marjorie Leblanc et Renaud Durand, les deux comédiens nous font faire un tour de manège infernal et étourdissant. Ils s’incarnent à tour de rôles dans des rêves personnels arborant accessoires, redingotes, hauts de forme, masques pour réussir le challenge d’éclairer notre réflexion sur la toxicité d’une idéologie que le rêve mettra sous nos yeux de manière prémonitoire si on lui reconnait ce pouvoir.
Yves-Alexandre Julien
Rêvez
D’après Rêver sous le IIIème Reich de Charlotte Béradt
Mise en scène Laure Godfrin
Adaptation Augustin Burger et Laure Godfrin
Avec Marjorie Leblanc et Renaud Durand
Jusqu’au 16 avril 2012
Les lundis à 19h30
Réservations : 0892.70.12.28 (0,34 euro/min)
Théâtre des Déchargeurs
3, rue Déchargeurs
75001 Paris
www.lesdechargeurs.fr
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