Retours au Rond-Point, risible poison de la famille
Deux pièces du norvégien Fredrik Brattberg sont présentées successivement. La première s’intitule Retours, la seconde Le père de l’enfant de la mère. Avec un humour à l’acide et des couleurs froides à la façon de son compatriote Ibsen mais d’une facture totalement nouvelle, l’auteur dissèque en orfèvre le trio père-mère-enfant, sanctifié par une société bourgeoise aux mièvreries diaboliques.
Camille Chamoux est la mère, Jean-Charles Clichet est le père et Dimitri Doré le fils. Frédéric Bélier-Garcia les dirige subtilement au service de cette partition qui dérange, composée de dissonances et de leitmotiv. On sent que l’auteur est aussi un compositeur, d’ailleurs largement reconnu internationalement. Des scènes se répètent à l’identique avec d’infimes variantes, les mots et les mouvements sont les mêmes, mais le timbre vocal, le regard et le tempo sont différents. Les comédiens maîtrisent cette composition qui demande de monter le texte comme on monte une gamme chromatique, nécessitant une grande technique. C’est très juste, joué au diapason, la cadence impeccable. La plupart des spectateurs rient en grinçant et sont conquis par cette méthode métronomique.
Cependant, le système ne laisse pas de place aux surprises quant à l’évolution et au dénouement. Dès lors que l’on a saisi le sens de cette construction mécanique et quand on a vu une bonne dizaine de fois la mère qui revient avec un filet de provisions accroché au guidon de son vélo, la lassitude peut en gagner quelques-uns. Pourtant, la modernité de la forme est éclatante et le sujet passé à l’abrasif. Et si les critiques de la famille bourgeoise sont souvent proposées au théâtre, il est rare que soit pointé le venin des sentiments érigés en intouchables valeurs.
Dans Retours, le fils qui est censé être dorloté par ses parents devient progressivement l’objet encombrant du couple préalablement constitué. En une accélération excellemment menée, le bon ton de la comédie familiale se fissure pour étaler une férocité comique, tant l’auteur la met à nue sans recourir ni à la psychologisation ni à un érotisme de secours. Dans Le père de l’enfant de la mère, l’appropriation du bébé par la femme sous des sempiternelles mimiques maternelles est dévastatrice. La mère qui n’accorde pas de véritable place au père, est sous le jeu de Camille Chamoux un petit bijou taillé au millimètre. La femme destructrice minaude et rabaisse gentiment son mari qui joue au brave derrière une soumission malheureuse, endossée rondement par Jean-Charles Clichet. Frédéric Bélier-Garcia et son équipe s’emparent de ces textes avec une compréhension au taquet, qui transmet le tranchant des sourires et des petites formules soi-disant attendrissantes, ainsi que la perfidie du sentimentalisme bien intentionné.
L’auteur ne verse ni dans le pathos ni dans le grand numéro classique de scène familiale. Il déracine la cruauté en observateur scientifique et avec un humour à la scandinave. On s’amuse, vaguement éberlué, peu habitué à ce ressort de farce audacieuse et séduit par ces rouages musicaux au refrain lancinant. Derrière l’angélisme, la brutalité. Le tout, sur le dos de l’enfant. C’est froid et vaste comme la lumière bleue du paysage que l’on voit par la fenêtre du salon, avec la touche supplémentaire du rire jaune.
Emilie Darlier-Bournat
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