RER – Théâtre de la Tempête
En 1987 à Wappingers Falls, Tawana Brawdley, une adolescente noire de 15 ans, trouvée dans un sac en plastique, les cheveux tailladés, accuse six hommes blancs de l’avoir enlevée, séquestrée et violée. Un an plus tard le Grand Jury établit qu’il s’agissait d’une affabulation : la jeune fille aurait mis en scène son agression avec la complicité de sa mère pour échapper à la violence de son beau-père.
Un scénario similaire se produit en juillet 2004 sur la ligne D du RER entre Louvre et Sarcelles. Marie Léonie Leblanc, 23 ans, accuse six jeunes Noirs et Maghrébins entre 15 et 20 ans, de l’avoir violemment agressée. Croyant qu’elle était juive, ils lui ont tailladé les cheveux, lacéré son pantalon et son T-shirt, dessiné au marqueur des croix gammées sur le ventre, sans que tout cela n’ait provoqué une réaction des passagers qui voyageaient dans le même wagon. Alors que les incidents antisémites sont en forte hausse, l’affaire Marie Léonie Leblanc provoque une vague d’indignation et remonte jusqu’au sommet de l’État. Le Président Chirac et toute la classe politique, Droite et Gauche confondues, condamnent cet acte barbare. Les médias en font leurs choux gras. Trois jours après, Marie Léonie avoue avoir fabriqué de toutes pièces cette agression pour attirer l’attention sur ses problèmes personnels et obliger ses parents et son compagnon à s’occuper d’elle.
Mythomanie
Jean-Marie Besset qui a suivi de près ces deux affaires, à New York et à Paris, loin de les traiter au premier degré, extrapole le fait divers. Il interroge le phénomène social inquiétant du recours à la médiatisation du désarroi, des problèmes personnels réels ou imaginaires, en les exhibant soit dans des émissions de télé-réalité soit en se mettant en scène comme victime d’un acte fictionnel, de préférence raciste ou antisémite, censé émouvoir l’opinion publique. Ce phénomène relève parfois de la mythomanie, du désir de sortir de l’anonymat, de la marge mais il traduit aussi des tentatives désespérées de dénoncer la solitude, l’indifférence, le manque d’amour, de s’arracher à une vie sans avenir.
Dans RER qui fait à la fois référence à l’affaire de Marie Léonie Leblanc et renvoie à cet espace commun où toutes les classes sociales se côtoient, Jean-Marie Besset condense l’échiquier social français. Ses protagonistes comptent deux jeunes couples en difficultés. Le premier est à la marge : Jeanne, caissière au Lidl de Drancy partage la vie de Jo, travailleur occasionnel dans une société de gardiennage. Le second en revanche n’appartient pas à la même catégorie sociale : Onyx, belle intellectuelle extravagante du Quartier latin fréquente A. J., ingénieur en mission en Chine, pragmatique et conformiste. Nous ferons également la connaissance de Madame Argense, mère de Jeanne, femme simple, homo et xénophobe, d’Herman, grand avocat de Gauche, esthète, Juif et homosexuel et enfin d’un vendeur de valises à la sauvette.
Didier Sandre magistral
Ces personnages qui vivent aux antipodes ne se seraient jamais rencontrés si Jeanne n’avait pas inventé l’agression antisémite dont elle prétend avoir été la victime pour conjurer la grisaille, le vide de sa vie, forcer les siens à s’intéresser à elle. À la faveur de l’enquête d’Herman tous ces personnages de milieux, de métiers, d’origines différents, vont entrer en collision. L’acte désespéré de Jeanne va bouleverser leurs relations, révéler leurs conflits, leurs ressentiments, leurs préjugés, leurs désirs frustrés, leurs solitudes. L’espace de ce bouleversement ont-ils fait un pas les uns vers les autres ? Seule Jeanne a trouvé peut-être le chemin d’une autre vie.
À l’exception de la première et de la dernière scène se jouant dans un espace dépouillé, Gilbert Désveaux inscrit la pièce dans un décor réaliste, un dispositif mobile, extrêmement efficace qui, se déplaçant, tournant sur lui-même, fait apparaître quasi instantanément divers lieux : appartement d’Herman, commissariat, logement de Jeanne et de sa mère, magasin d’une entreprise gardée par Jo, entrée d’un cinéma. Les séquences s’enchaînent avec une remarquable fluidité dans une belle tenue du rythme et de la tension dramatique.
Les acteurs, tous très justes, confèrent une authenticité, une vérité humaine profonde à leurs personnages sans jamais les réduire à des stéréotypes d’homosexuel, de Juif, d’antisémite, etc… Andréa Ferréol en Madame Argense, engoncée dans ses préjugés, allergique à la différence, est particulièrement troublante face à Herman, Juif, homosexuel, magistralement campé par Didier Sandre.
L’humour et la dérision font sans cesse irruption dans la gravité du propos de la pièce, traitant avec une remarquable acuité, sans didactisme aucun, sans délivrer de messages, de thèmes sensibles, difficiles à aborder qui, tel le RER souterrain, traversent notre société. Un spectacle en tous points réussi, à voir d’urgence !
Irène Sadowska Guillon
RER
De Jean-Marie Besset
Mise en scène Gilbert Désveaux
Avec : Andréa Ferréol, Didier Sandre, Marc Arnaud, Mathilde Bisson, Brice Hillairet, Cholé Olivères, Lahcen Razzougui
Scnénographie : Alaina Lagarde
Lumières : Pierre Peyronnet
Costumes : Alain Lagarde et Marie Delphin
Son et images : Serge Monsegu
Du 11 mars au 18 avril 2010
Mardi, mercredi, vendredi, samedi à 20h30, jeudi à 19h30 et dimanche à 16h.
Relâche exceptionnelle le mardi 30 mars, représentation supplémentaire le samedi 27 mars à 17h.
Tarifs : 18 €
tarifs réduits 14 € et 10 €
mercredi tarif unique 10 €
Réservations au 01 43 28 36 36
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
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