“Rencontre avec une illuminée” : François de Brauer en apnée mystique
Quand on fréquente trop les scouts, on risque le burn-out mystique. Une aventure intime que le comédien François de Brauer, un Caubère longiligne, réinvente avec une magie très personnelle et beaucoup d’humour sur le plateau du Petit Saint-Martin pour un compte à rebours avec les spectateurs et la tête dans les étoiles : magique.
Magnificat
Quel est ce lieu entouré de bougies et de noir, au centre duquel un jeune homme en jean et tee-shirt blanc se promène négligemment ? Un temple sacré ou une alcôve psychanalytique ? Simon, c’est son nom, se présente à nous au milieu de sa famille, au moment de l’enterrement de son grand-père pour lequel il est chargé de lire un texte de l’Evangile. Il nous raconte cela avec un sourire au coin des lèvres, mi-copain mi-complice, et nous, public compatissant, le regardons et l’écoutons se débrouiller avec l’écheveau complexe de ses souvenirs d’enfance. L’auteur et acteur du spectacle, François de Brauer, est un comédien aussi talentueux que spirituel qui avait déjà fait sensation dans La loi des prodiges. Sa finesse, sa souplesse corporelle et la vivacité de son esprit le mènent vers la composition d’une multitude de personnages haut en couleurs qui vont défiler à la vitesse de l’éclair dans ce spectacle en forme d’OVNI théâtral.
Crise mystique
L’enterrement d’un aïeul avec d’un côté la tante Cathy qui lui souffle tout un extrait des Evangiles de sa voix sucrée, de l’autre sa propre mère qui s’étonne de son refus de croire en la vie de Jésus et qui lui réclame, une fois encore, le récit d’un épisode chez les scouts où, puni pour avoir déféqué sur une croix, il doit faire rire ses chefs sadiques et racistes avec la composition d’une Martiniquaise qui ressemble à un cliché colonialiste. Le début du spectacle, auquel Jean-Luc Gaget a collaboré pour l’écriture et Louis Arène pour la mise en scène, a tout d’un road trip psychanalytique avec un narrateur-personnage qui creuse sa tombe avec ses souvenirs d’enfant très chrétien et ses névroses de rébellion contre une famille plus qu’envahissante. Sans compter que cet arrachement à la mystique chrétienne le laissera comme un malheureux orphelin, récupéré in-extremis par Stella, une illuminée bien nommée, qui le plongera malgré lui dans un bain ésotérique et syncrétique ou hindouisme, réincarnation, sophrologie et renaissance sophrologique agiront comme un remède divin à sa souffrance de mâle blanc et toxique.
Arlequin contemporain
Agile comme un Arlequin de commedia dell’arte, le comédien auteur se joue de tout et se métamorphose, voix et corps, en gourou brésilien, en masseuse péruvienne, en antéchrist du Jura, mais il dissocie aussi son propre corps lorsqu’une panne de virilité l’entrave lors d’une nuit torride avec une bombe sexuelle. Sans un seul temps mort, il nous prend pas la main et nous balade entre réalité et fantastique, à travers le monde humain et animal, avec des dialogues et une narration aux petits-oignons, cocasse, drôle, ironique et cruelle, à la manière d’un Woody Allen de 20 ans qui se perdrait chez des illuminés moins malheureux que lui. De ce voyage qui forme une boucle autour de la spiritualité et de la croyance, nous ressortons conquis, saluant la performance et l’écriture engagée d’un artiste à la belle générosité qui écorche ou caresse quelques-uns de nos poncifs et de nos marottes avec la bienveillance amusée du candide.
Hélène Kuttner
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