Rencontre avec les comédiens de la Nuit des Rois, actuellement au Théâtre Comédia
Au sous-sol de la Fnac Montparnasse s’est tenue jeudi dernier une rencontre qui a offert à une poignée de curieux et de conquis de découvrir l’adaptation de La Nuit des Rois ou d’en percer les ficelles et les coulisses. C’est dans une ambiance décontractée et intimiste, que les comédiens ont tenté de résumé l’histoire du chef d’œuvre shakespearien, « tenté » parce qu’il en ait ressorti qu’il était bien impossible de décrire cette pièce aux nombreux rebondissements, qui n’a de meilleure explications que de la voir tout simplement ! C’est donc avec beaucoup d’humour et quelques hésitations que Sara Giraudeau – activement soutenue par Arié Elmaleh – a amorcé un résumé laissant tout le mystère de ce récit rocambolesque aux néophytes, ce qui a valu à tous un moment cocasse. Arié Elmaleh conclut cette entreprise avortée en invitant tout bonnement à venir voir la pièce.
Les informations sur la composition de cette adaptation ont finalement trouvé toute leur consistance dans la présentation des protagonistes qu’ont donné chacun des comédiens. On apprend, outre les tenants et les aboutissants de l’histoire, que pour diriger sa troupe comme il l’appelle, Nicolas Briançon laisse aux comédiens la liberté de tout tenter et qu’il s’agit bien là d’un jeu au sens propre du terme. Lui qui consent travailler sur la notion d’humanité, se défend de toute manipulation dans la direction de sa mise en scène. Le cas d’Arié Elmaleh a, à ce propos, été plus longuement abordé pour sa singularité. L’interprète du bouffon, fou et sage à la fois, serait un personnage des plus spirituel et le représentant de la pensée et de Shakespeare lui-même. Le dramaturge anglais aurait inventé ce personnage enlevé et léger afin d’incarner sa parole, c’est pourquoi le rôle d’Arié Elmaleh, malgré son retrait dans l’intrigue, a une valeur si particulière. Pour s’accomplir dans cette interprétation en marge et néanmoins prépondérante, Arié Elmaleh n’a reçu aucune indication. Et c’est à force de mauvaises pistes que le comédien s’en est allé dans la bonne direction, conférant à ce bouffon stupide bien plus d’esprit qu’il n’y paraît. L’exemple d’Arié Elmaleh illustre la politique de Nicolas Briançon, qui est celle de laisser libre cours aux désirs et aux envies des interprètes pour révéler leurs aptitudes à s’approprier leur personnage, à mieux pénétrer sa psychologie.
En ce qui est de la pièce, aux aléas des discussions de cette rencontre, anecdotes historiques et pistes de compréhension sur l’œuvre de Shakespeare sont délivrées à l’assistance. Alors que Nicolas Briançon témoigne de l’influence qu’a eu le film de Billy Wilder, Certains l’aime chaud dans le traitement de La Nuit des Rois, il reconnaît par ailleurs des similitudes avec l’œuvre de Feydeau notamment dans le mensonge de Viola dont résulte les quiproquos et un certains comique de situation. Le metteur en scène qui a exploité le texte original à 95%, justifie le fait d’avoir conservé la première chanson dans la langue de Shakespeare, préférant garantir toute son authenticité. Arié Elmaleh qui est le principal interprète des chansons de la pièce, se prête alors docilement à l’exercice d’entonner a capella cette première chanson d’amour, avec Sara Giraudeau, ce qui fut un très joli moment de cette rencontre. Ont ensuite été développées les thématiques de la comédie, qui sont le mensonge et le travestissement. On apprend ainsi que cette pièce destinée à être jouée pour les fêtes de l’épiphanie lors de sa création à la jonction du 16ème et du 17ème siècle – d’où ses titres originaux Twelfth Night et What you will – était alors très subversive. William Shakespeare aimait à se moquer des Anglicans, des prêtres et de la bienséance, un parti pris audacieux pour l’époque explique Nicolas Briançon. C’est d’ailleurs à travers la parole du bouffon que se le permettait l’auteur. Mais le dramaturge en signant cette farce qui traverse les siècles, y apportait des allusions personnelles plus graves. La gémellité semble être un leitmotiv dans son œuvre, ici exprimée avec Viola et Sébastien. L’écrivain était lui-même père de jumeaux et avait perdu son fils, ce qui révèle son rapport à la mort par de fortes symboliques dans La Nuit des Rois. Il témoignait également de son rapport aux relations homosexuelles ou du simple amour d’homme à homme qu’il traitait avec pudeur. C’est un trait de la pièce qui n’apparaît pas de façon évidente et que les indications de Nicolas Briançon permettent de déceler dans les duos masculins que forment Antonio et Sébastien ou encore Sir Toby et Sir Andrew (que Nicolas Briançon surnomme Les Bario en référence au binôme de clowns italiens, avec une pointe de dérision).
Le sentiment que La Nuit des Rois comporte plusieurs pièces en une, à découvrir comme des Matriochkas, revient à de nombreuses reprises au cours de la rencontre. La comédienne Chloé Lambert, interprète de la comtesse Olivia, décrit le rapport du metteur en scène à ses comédiens, qui confient s’être sentis appréciés, considérés avec leurs différences et leurs personnalités propres. Ce à quoi répond Nicolas Briançon, évoquant ses choix de distributions pour rendre au mieux « plusieurs histoires, plusieurs couleurs, sans dominante particulière, le reflet de la vie donc ». Et comme le souligne une fervente amatrice de la pièce parmi l’assemblée, « Nicolas Briançon donne à voir et à comprendre les pièces avec une luminosité extraordinaire et une distribution homogène ». Celle-ci encensera la prestation de La Nuit des Rois pour le plus grand plaisir de la troupe, remerciant une Sara Giraudeau « époustouflante en jeune femme et très crédible en homme ». La femme conclut sa prise de parole sur un hommage aux costumes ravissants et intelligents, et sur un « merci » sincère et longuement applaudit.
La rencontre avec l’équipe de La Nuit des Rois a été l’occasion de véritables échanges, de confidences utiles à la lecture de la pièce, dans une ambiance intime et chaleureuse rendue par la proximité et le partage des intervenants ainsi que la vigueur du public. Un agréable moment passé en la compagnie des « acteurs » de la comédie shakespearienne qui ont su transmettre leur passion et leur plaisir : une invitation sans équivoque à voir ou revoir la pièce au Théâtre Comédia.
Hélène Martinez
La critique de La Nuit des Rois sur Artistik Rezo
La Nuit des Rois
Une pièce de William Shakespeare, mise en scène par Nicolas Briançon, avec:
Sara Giraudeau, Arié Elmaleh, Chloé Lambert, Henri Courseaux, Yves Pignot, Yannis Baraban, Jean-paul Bordes, François Siener, Emilie Cazenave, Thibaud Lacour, Aurore Staudercauchy, Sophie Mercier, Pierre-Alain Leleu.
Jusqu’au 3 janvier 2010
Du mardi au vendredi à 20h30
Le samedi à 17h et 21h
Le dimanche à 17h
Tarifs: de 15 à 52 euros (offres tous les vendredis)
Acheter vos places sur le site du théâtre Comedia
4, boulevard de Strasbourg
75010 PARIS
Métro : Strasbourg St-Denis
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