Rachida Bahri dans son one woman show “A l’aRach”
Touchée aux tripes, au centre de la petite scène du théâtre Popul’Air, une Rachida au regard humide. Les rires, les applaudissements et maintenant ce « joyeux anniversaire » plutôt mélodieux en dépit de l’excitation de cette chorale improvisée, ça fait beaucoup pour une seule femme. Mais 30 ans, ça se fête, non ? D’autant plus que cette célébration s’accompagne du sentiment apaisant d’avoir enfin trouvé une aire de repos, après moult pérégrinations. « On dit qu’on ne fait jamais rien par hasard », rappelle Rachida. « Plus le temps passe et plus j’en suis convaincue. L’humour, c’est une catharsis pour moi ».
A l’origine, pourtant, la petite Lyonnaise ne se voyait pas comique. Bon, c’est vrai, elle avait déjà une façon bien à elle de raconter ses galères. Oui, ses potes pliés en deux l’encourageaient à écrire. Mais non : Rachida voulait être danseuse. Ou chanteuse à la rigueur. Connue, en tout cas, et « belle à l’écran ». A 16 ans et demi, coup de foudre : elle découvre la danse hip hop. L’école, c’est terminé. Elle participe à des projets associatifs, intègre une compagnie, goûte à la danse contemporaine et finit par tenter le conservatoire. « J’ai toujours été ronde, se souvient-elle, mais quand j’ai passé les auditions j’ai vraiment eu le sentiment d’être un canard boiteux : les nanas autour de moi pesaient 30 kilos de moins. On m’a dit qu’il fallait que je perde du poids. »
Au service du rire
Certaines de ses copines, elles, sont acceptées : Etre douée c’est bien, dotée du physique idoine, c’est mieux. La pilule a du mal à passer. Après une nouvelle tentative et un nouveau refus, Rachida, fâchée, abandonne la danse, se tourne vers le chant puis le one man show. Départ pour Paris et panique parentale : « Mais Rachida, quand est-ce que tu vas te poser ? » Ah… mais c’est qu’elle aimerait bien trouver sa place ! Et ce n’est pas faute de chercher, d’essayer, et d’enchaîner les petits boulots en attendant. Car il faut bien payer les factures et avoir de quoi « manger une glace sur les Champs ».
Mais avec le one man show, cette fois, c’est la bonne pioche. « J’ai commencé à écrire le jour où je me suis inscrite au chômage. A l’ ANPE, je tombe sur un type qui me sort ˝pfff, encore une démission, non, mais c’est pas possible˝. J’étais la première de la journée et je me suis dit, il n’est pas sorti de l’auberge, s’il commence comme ça ! » La comédienne a su mettre sa colère, ses petites et grosses blessures au service du rire.
Fan inconditionnelle des Inconnus
Car elle a l’oeil, Rachida. Elle observe, croque, absorbe. Puis parodie. En face, le public se gondole. Son spectacle offre une succession de personnages qu’on ne connaît pas mais qu’on reconnaît. Comme ce prof de théâtre, par exemple, qui souffre d’incontinence verbale et se laisse bercer par le ronronnement de sa propre voix. Ou encore cette executive woman qu’on espère bien devenir un jour. Son signe distinctif ? Les « ouais » aspirés-inspirés qu’elle lance à son assistant entre deux coups de crinière. Il suffit parfois d’un geste, un regard, une posture pour que la subtilité de l’interprétation de Rachida s’impose à nous. « C’est très drôle et très fin, elle incarne vraiment ses personnages » confie Soizic, une spectatrice. « Elle a de belles expressions, renchérit Juliette, ses mimiques, ses attitudes fonctionnent très bien et on sent qu’elle se fait plaisir. »
Pas surprenant quand on sait qu’enfant, Rachida, en fan inconditionnelle des Inconnus, profitait de la kermesse de l’école pour se lancer dans d’impeccables imitations du trio. A l’aRach, c’est donc une plongée d’une heure dans l’intimité d’une toute fraîche trentenaire, dans son imaginaire débridé avec des visions de Ségolène en boubou rose, de mamans qui se prennent pour le commandant Cousteau dans un préau de maternelles et de chouettes fantasmes sur la ligne 13. Le tout entrecoupé d’extraits de Dirty dancing : jouissif ! « Ca m’a replongé dans mon adolescence, raconte Léïla, tout sourire, ça nous touche, nous, les jeunes trentenaires. Je pense que nous nous sommes toutes projetées quand nous étions petites. Ressorti comme ça, c’est trop drôle ».
« Joh-nnyyy, arrête de courir après ton destin comme un cheval sauvage » nasillait Bébé dans Dirty dancing. Ce sage conseil aura t-il fini par guider Rachida dans sa quête ? Peut être, car soir après soir, la jeune femme observe la métamorphose du canard en colère en cygne serein.
Sénami Juraver
A l’aRach, one woman show
Tous les dimanches jusqu’au 20 décembre
Informations : 01 46 36 74 15
Théâtre Popul’Air du Reinitas
36, rue Henri Chevreau, Paris 20e
Métro Ménilmontant (ligne 2)
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