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Que faut-il dire aux hommes ? Un souffle de liberté au Théâtre de la Bastille

© Emilia_Stefani-Law

Après Trans, succès du Festival d’Avignon 2019 qui donnait la parole aux personnes transgenres, et Une longue peine, créé en 2016, qui interrogeait des ex-prisonniers, le metteur en scène Didier Ruiz s’attaque à un sujet brûlant : la foi, la croyance en Dieu, le cheminement personnel vers une spiritualité qui peut sauver les hommes. À l’heure de la réouverture des salles de spectacles, aucune création ne pouvait mieux tomber pour nous saisir au plus profond de nos âmes de spectateurs encore masqués, mais dont les yeux et les oreilles boivent ces paroles apaisantes.

Entre ciel et terre

Ils sont sept, deux femmes et cinq hommes, sur un plateau noir, suspendu par de fines cordes à nœud qui vont peu à peu s’embraser de lumière. Grace Gatibaru ouvre le bal, déesse noire splendide dans sa robe de soleil, qui raconte son parcours spirituel semé de deuils et de maturation personnelle, du Kenya à la France, pour devenir pasteur protestant. Ses mots sont ceux de l’enfance et d’une maturité sereine, et les baskets qu’elle porte lui permettent de les projeter, innocents et sincères, sans aucun dogmatisme. La musique, mêlant l’électro et l’ethnique, soutient subtilement cette parole vibrante que Didier Ruiz a longuement travaillée avec ces témoins d’une vie. Marie-Christine Bernard, chemise rouge et jean tout simple, était religieuse. Sans aucun pathos, et avec une délicatesse infinie, elle raconte sa révélation adolescente, le choc avec sa famille, l’aspiration au don et à l’amour des autres, et le contact avec une divinité qui s’incarne dans le Christ. Elle le raconte avec une fragilité magnifique, pleine de doutes et d’étonnement, plantant dans nos yeux le bleu de ses pupilles incandescentes.

Ni dogme, ni autorité

© Emilia_Stefani-Law

C’est ce qui émane de cette création : tous ces acteurs non professionnels évoquent leur contact avec une religion qu’ils se sont appropriés à leur manière, dans une entière liberté, avec un libre-arbitre revendiqué. Et c’est le défi, assez phénoménal, que s’est donné Didier Ruiz et son équipe, de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas habituellement, fuyant les clichés et les principes réducteurs, la violence des fanatismes, qui font malheureusement le théâtre des médias. Une parole individuelle, intime, chaotique, portée sur la scène avec des moyens artistiques délicats et sensibles, pour la mettre au mieux en valeur et la préserver. Brice Olivier est un frère dominicain qui vit à Paris, dans une congrégation. Chemise rose ouverte et pantalon bien taillé, il dit détester l’habit religieux, mais son discours, l’argumentation limpide et sobre, la description qu’il fait de son quotidien, de sa cellule et de son dépouillement collent à la lumière de son visage et de son sourire. Les voeux qu’il a faits, de pauvreté, de fidélité, de partage, sont certes à l’opposé de notre société grouillante de tous nos désirs de consommation. Pour autant, aucune opprobre ne nous est lancée.

Bouddha, Allah, Moïse et les autres

© Emilia_Stefani-Law

Jean-Pierre Nakache, juif pratiquant, ne dit pas autre chose. Boots et tenue de gentleman-farmer, il raconte son enfance algérienne baignée par l’odeur du pain de shabbat, les épreuves morales de sa bar-mitsva, premier rite de passage vers l’âge adulte, et ses voyages en Inde. Doutes, quête, remise en question, tâtonnements, strient chacun de ces événements de vie en quête de sens. Et c’est cette quête de sens, de sacré, d’une divinité, mais aussi de règles morales, qui constituent l’ensemble des ces parcours. Eric Foucart, converti au bouddhisme à travers plusieurs retraites, et Olivier Blond, chaman révélant ses “good et bad trips” des États-Unis au Pérou, voyageant pour se retrouver et maintenant guérir les autres, sont deux jeunes hommes que cette quête de spiritualité a totalement bouleversés. La sexualité, l’amour, mais aussi le plaisir, la souffrance, ne sont pas tabous. Ils en parlent, et nous en parlent à leur manière, comme le fait avec une acuité brûlante Adel Bentounsi, le musulman artiste qui se revendique désarmé. “L’étymologie de musulman ça veut dire désarmé. Donc être musulman veut dire que je suis sans arme” nous dit celui qui est l’époux d’ une femme imam. On aimerait rester avec eux après la fin du spectacle, et on les remercie.

Hélène Kuttner

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