Quand je pense qu’on va vieillir ensemble – Bouffes du Nord
Le spectacle a été créé en mars au théâtre de Vanves dans le cadre du 15ème festival Artdanthé. Reprise aux Bouffes du Bord, la fête scénique est orchestrée dans un revigorant tumulte à l’égal des désordres plus ou moins latents dans la tête des humains qui naissent, vivent et vieillissent en se demandant assez régulièrement comment et pourquoi tout ça. Lorsque vous allez voir Les Chiens de Navarre, laissez dehors toutes les conventions et les règles. La meute est en totale liberté et vous donne généreusement le goût de la pensée sauvage, celle qui ne se laisse ni domestiquer par des maîtres savants ni enrôler par des dompteurs musclés. Les Chiens de Navarre ont de surcroît la douceur animale qui ne relève d’aucune politesse ; leur sincérité n’est pas dictée par le code du savoir-vivre et leur gaité est dégagée de l’académisme. Tout avec eux respire la franche jubilation. Ils ont reçu à la naissance une dose d’imagination et de créativité qui rebondit sur le public avec effervescence.
Jean-Christophe Meurisse est le metteur en scène qui rend homogène les multiples ingrédients proposés par l’équipe de comédiens. Tous en effet sont les auteurs du spectacle, telle est la caractéristique du Collectif. Les morceaux textuels sont cousus et tissés mais il ne faut surtout pas y chercher un cadre ou un ordonnancement repérable ou assimilable à ce que sont des pièces de théâtre que l’on dit bien construites. Ils tournent la tête à ce qui est décrété « bien » pour faire souffler leur vitalité au gré de la pétulance des corps intelligents.
Un bonheur de déstabilisation
Le tour de force de ce Collectif, créé par Jean-Christophe Meurisse en 2005 après une formation de comédien, est de parvenir à déranger, perturber voire mettre mal à l’aise les habitués du théâtre de papa, tout en attrapant le spectateur par un talentueux excès de culot, une fantaisie si chargée de vérité que nul ne résiste ou ne devrait résister, s’il a gardé la malice profonde des jeux d’enfant que Dionysos a bercés. Il ne faut pas craindre dès que vous vous installez d’être happé par un bazar sonore entre trompettes et tambour, tandis que sur scène des joueurs de pétanque, ensanglantés et en short, ont déjà démarré non seulement la partie de boules, mais carrément le spectacle, et ce sur un sol en terre. Et de quoi va parler ce spectacle non identifiable ? Du difficile cheminement humain que le monde actuel voudrait formater selon des méthodes sophistiquées toutes plus vaines et cocasses les unes que les autres. On voit donc des individus tenter de juguler leurs angoisses face à des formateurs en tous genres dans des séminaires animés par des psy-communicants-gourous et autres charlatans diplômés. On voit aussi comment un couple se défait lors d’un trajet en voiture, comment un autre se couche dans une nudité innocente, puis comment les contes de fées empoisonnent les jeunes premières, comment des individus hiérarchiquement en haut de l’échelle achèvent de briser des gens vulnérables à coups de formules et slogans que la société passe en boucle comme la parole évangélique du 21e siècle. Les dialogues emmêlent la brutalité, la crudité, la fragilité et l’impertinence. Les corps réunissent la danse, la beauté, la violence, le charme, l’acrobatie, l’insolence, le grotesque et l’amour. Dans ce fatras heureux nage et surnage la question de l’individu en désarroi dans ce 21ème siècle hautement raffiné technologiquement et pourtant grossier.
Les Chiens de Navarre font tanguer et bousculent dans des zones inhabituelles, qui, malgré leurs apparences foutraques, sont constituées de riches pensées et de fortes indépendances d’esprit. Le cirque de la raison est savoureusement nourri, si bien que la bonne humeur distille de superbes antidotes au désespoir et met le public en situation d’interpréter et réinterpréter. On y rit jusqu’aux larmes et soudain une image de rêve traverse la scène dans une suspension de temps. Le fin disloquage de la mise en scène réussit bel et bien à créer un rythme qui soutient l’attention et mobilise la conscience du spectateur. Il n’y pas de possibilité de s’appesantir ou de se complaire ; dès qu’un versant est exploré, un autre vous attrape. Et toutes les facettes se répondent, se renvoient de scintillantes répliques et de brillants mouvements corporels. Ce spectacle cocasse ne donne pas forcément envie de vieillir mais il impose l’idée que le vivre ensemble, malgré pas mal de raisons de désespérer, réserve des trésors si chacun se donne la peine de tordre gaiement le cou aux cruautés quotidiennes et modernes.
Isabelle Bournat
Quand je pense qu’on va vieillir ensemble
Une création collective des Chiens de Navarre
Mise en scène de Jean-Christophe Meurisse
Avec Caroline Binder, Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne- Elodie Sorlin, Maxence Tual et Jean-Luc Vincent
Du 14 au 25 mai à 20h30 sauf les dimanche et lundi
Samedi 25 mai à 15h30
Tarifs : de 16 à 30 euros
Réservations par tél : 01.46.07.34.50
Durée : 1h30
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, boulevard de la Chapelle
75010 Paris
M° La Chapelle ou Gare du Nord
[Visuel : Quand je pense qu’on va vieillir ensemble. © P. Lebruman]
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