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Pique – Robert Lepage – Studio 24

20 janvier 2013
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Pique - Robert Lepage - Studio 24



Célèbre thaumaturge québécois, Lepage a pour habitude de sidérer son public en combinant astucieusement le ressort des nouvelles technologies aux artifices scéniques et autres formules magiques. Si sa venue en France, après une première exhibition à Madrid, constitue un véritable événement mondial, on doute en revanche, à la sortie du spectacle, avoir assisté à un quelconque événement théâtral.

Dans l’arène du Studio 24 — vaste entrepôt hébergeant habituellement les plateaux de cinéma — se déploie un royaume de ruses et d’artifices  : des trappes celées sous un dispositif circulaire contraignent les acteurs à circuler dans les conduits souterrains et entrailles du plateau, à entrer et sortir de scène depuis ce ventre du théâtre, en expérimentant la verticalité des coulisses. On ne peut s’empêcher d’avoir une pensée tout particulière pour les techniciens qui oeuvrent sous cloche pendant plus de 2h30.

Aux quatre coins du ring central, des gradins cardinaux d’où le public assiste, contemplatif, au show. Des écrans plats grand format suspendus à tous les carrefours de la scène, tournés vers les spectateurs, affichent surtitrage – le texte polyglotte en français, anglais, espagnol – et images enregistrées de la télévision américaine – flash info, soap – et captation de l’action sur scène en temps réel. 

Les décors hyperréalistes reproduisent les ambiances clichées et feutrées des bars de Casino, des saunas et chambres d’hôtel, et autres lieux de transit touristique que l’on peut trouver dans les grandes mégalopoles de la côte Ouest des Etats-Unis. De Las Vegas à Bagdad, s’étire une esthétique de la mondialisation qui vire à une globalisation esthétique, à une indifférence totale, quoique paradoxale, du lieu où se déroule l’action. 

La construction labyrinthique de la trame narrative – qui s’apparente d’avantage au découpage séquencé et fragmentaire d’un scénario de cinéma – déploie l’action selon plusieurs pistes parallèles ou concurrentes  : un couple trentenaire est uni par les liens sacrés du mariage sous les auspices musicales et musclées d’un Elvis mal dégrossi tandis que Georges Bush déclare l’entrée en guerre des Etats-Unis en Irak. On assiste à une scène grotesque de simulation et d’entraînement militaire où une brigade de soldats de l’armée américaine est humiliée par le commandant en chef des exécutions pour n’avoir pas déniché à temps l’Oussama Ben Laden barbu, caricatural et ressuscité, logé dans une trappe, prêt à bondir comme un diable de sa boîte. Cliché barbant redoublé par des scènes parodiques de prédation sexuelle de général à soldat ou de refoulement de l’homosexualité honteuse entre militaires. Rien n’est suggéré, a contrario, de l’épouvantail martial qui hante encore les troupes à leur retour.

Les scènes les plus insolites, mêlant le fantastique au métaphysique, décrivant des lieux périphériques à la rumeur urbaine et à l’effervescence mondaine, ne transgressent pas plus les bornes étriquées de la fable «  critique  » et n’échappent pas d’avantage la règle du cliché  : un ermite chamanique errant dans un désert brassé par une tempête de sable, invoquant des forces surnaturelles, dégraissant l’américain moyen, addict aux jeux d’argent, aujourd’hui repenti, à coups de thérapies archaïques et magiques, le déshabillant aussi – pour retourner à soi il faut se mettre à nu, ici à poil, ça va de soi.

Cette vision de la schizophrénie du monde occidental post-moderne – capable de faire la guerre, de faire la fête et de faire de l’argent, le tout dans une unité de temps, de lieu et d’action – n’a pas la force de proposition critique suffisante pour nous arracher aux clichés dont la pièce est censée nous décrasser. Au contraire, à la manière d’un trompe-l’oeil, elle nous y précipite.

Un dispositif spectaculaire, efficace en matière d’effets visuels mais bien trop faible en création esthétique. Une combinatoire riche en potentialités narratives, pourtant si pauvre en action théâtrale. Si on voulait enfoncer encore un peu plus le «  Pique  » de Lepage, on prétendrait se trouver tout au plus devant un feuilleton télévisé mal fagoté et on douterait, par conséquent, qu’il faille se déplacer au « théâtre  » pour si peu. 

Nora Monnet

Jeu de cartes  : 1  Pique  

De Robert Lepage

Avec Sylvio Arriola, Nuria Garcia, Tony Guilfoyle, Martin Haberstroh, Sophie Martin et Roberto Mori 

Assistant à la mise en scène : Félix Dagenais // Dramaturgie : Peder Bjurman 
Scénographie : Jean Hazel // Créateur lumière : Louis-Xavier Gagnon-Lebrun 
Musique : Philippe Bachman // Créateur son : Jean-Sébastien Côté 
Créateur vidéo : David Leclerc // Créateur costumes : Sébastien Dionne

Du 9 au 19 janvier 2013 
Du mardi au samedi à 20h / le dimanche à 16h / relâche le lundi 

Plein tarif : 29 € / Tarif réduit : 26 € / Carte Célestins : 26 €
Jeunes -26 ans : 18 € / Personnes handicapées / Demandeurs d’emploi : 20 €
Réservations : 04.72.77.40.00

Durée : 2h40

Studio 24 / Les Célestins
24, rue Émile Decorps
69100 Villeurbanne

www.celestins-lyon.org

[Visuel : Jeux de cartes : 1 Pique / Robert Lepage. Studio 24 / Villeurbanne]

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