“Hamlet-Machine” : Le théâtre mental et expérimental de Heiner Müller
« Machine infernale »
Le cours de l’histoire est inéluctable, le sort avale sa route, le destin bat son chemin. « L’aube n’aura plus lieu ». Sur scène, quatre acteurs, trois à l’avant-scène se disputent la réplique et disloquent la chair de la langue, BLABLA… Un vrombissement assourdissant gronde sur la salle, souffle glacé de la rumeur, poids des cadavres qui flottent au-dessus de nos têtes. «Bégayer dans sa propre langue », l’accent deleuzien circule. Les corps, eux aussi, bégayent dans leur propre langue, ils chancellent au rythme de leur être brisé qui tout entier vacille.
De dos, Hamlet porte la couleur d’un deuil déjà fané. Courbé en avant, les épaules puissantes, chacun de ses muscles saillant la tentative d’une relève, Hamlet se débat dans sa propre machine. Disjoint mais articulé, le corps commande à ses membres la station debout. En un déséquilibre qui estompe la ligne d’horizon séparant les soubresauts du corps des tremblements de la terre, Hamlet accuse la gravité. Pas de verticalité, aucune, jamais plus. Le tragique plie le corps à la modalité oblique. Apparition à la phénoménalité inversée, les traits d’Hamlet tirent le passé. Pupille aveugle, oeil révulsé, tous orifices crevés, Hamlet est fils de la mort.
« Eternel sans retour »
Sur scène, pas de héros. Pas un Hamlet mais quatre corps. Pas de Hamlet du tout. Le texte évacue les personnages, parole tenue : « Je ne suis pas Hamlet. Je ne joue plus de rôle. Mes mots n’ont plus rien à me dire. Mon drame n’a plus lieu. » Jetés au centre de la terre, expulsés du ventre de la langue-mère, les rejetons déraillent et délirent d’une seule et même voix. Les deux interprètes masculins déchiffrent ensemble la partition machinale : « Je ne joue plus ». Le circuit dramatique, lui, est ininterrompu et ne pourra l’être du reste tant que l’Histoire elle-même n’en sera à sa fin. Balisée par des témoins lumineux qui signalent les « fronts invisibles » entre lesquels se joue le temps des vivants adossé à celui des morts, la scène repousse sans cesse au dehors ses propres limites. Être syncopé aux élans constamment brisés, Hamlet, torturé, gesticule en vain dans le huis-clos d’une mémoire aliénante et obsédante, ressassant en boucle les séquences tronquées d’une histoire dont il est la ruine, le rejet avorté. « Mes pensées sont des plaies dans mon cerveau. Mon cerveau est une cicatrice. Je veux être une machine. Bras pour saisir, jambes pour marcher, aucune douleur, aucune pensée. »
Dispersés sur le plateau, les quatre corps fractionnant la volonté décapitée d’un Hamlet tout-impuissant, s’épuisent à la recherche de leur centre de gravité. Non au dedans mais au dehors : l’extase. Identité littéralement dégénérée se métastasant d’un corps à l’autre, Hamlet est l’homme, la femme, l’enfant, la béance du père, le sang de la mère, l’ombre du fils. Empoté dans le trou de sa mémoire, Hamlet guette le crépuscule de l’histoire.
« Corps méta-physiques »
Le texte d’Heiner Müller, totalement incandescent, brûle entre les doigts. Avec lui partent en fumée les repères formels du théâtre classique. Aucune unité, ni de temps, ni de lieu, ni d’action : la pièce, reflet morcelé d’un Hamlet lui-même divisé, éclate en une infinité ouverte de fragments tous déchiquetés par la langue. Au ras du sol, en communication intime avec la terre, les corps déconstruisent le geste ordinaire au profit d’une expérience à la tonalité métaphysique, gagnée par-delà l’horizon proprement physique. Le sens, toujours insaturé, se déverse en un flux sonore discontinu, haché, mâché, recraché par des visages grimaçants dont les bouches, tordues par l’expression polymorphe de la violence qui rejaillit en eux, sont les ventriloques d’un monde disloqué sonnant la fin de l’histoire.
Sophie Hutin et Sylvaine Guyot signent une remarquable mise en scène défiant avec audace la gravité textuelle müllerienne, répondant au coup par coup à la violence du poème par une physique des corps révolutionnant l’écriture gestuelle du théâtre contemporain.
Nora Monnet
Hamlet-Machine / Heiner Müller
Mise en scène de Sylvaine Guyot et Sophie Hutin
Avec Yohan Campistron, Sylvaine Guyot, Sophie Hutin, Nicolas Torrens
Lumières Flore Dupont
Graphisme Romain Fouquier
En association avec le Théâtre de l’homme qui marche
Les 03,04 et 05 juillet 2009
A 20h les vendredi 04 et jeudi 05 juillet
A 16h le dimanche 06 juillet
Tarifs : 20 euros / 14 euros
Contact & Réservation au 06 23 32 76 13
Studio Le Regard du Cygne
210, rue de Belleville 75020 Paris
Métro Place des Fêtes (11 et 7 bis) ou Télégraphe (11)
Bus 60 arrêt Pixérécourt
Accès en voiture à cinq minutes de la Porte des Lilas
www.leregarducygne.com
Reprise du Spectacle à la rentrée 2009 et au Festival Off d’Avignon 2010
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