“Proches” : superbe révélation théâtrale de Laurent Mauvignier
À l’occasion du retour d’un fils qui a purgé quatre ans de prison, sa famille prépare la fête et se réunit pour l’accueillir dans la joie. Pourtant, derrière cette guirlande suspendue par toutes les mains en son honneur, on s’écorche, on se dispute, les non-dits sont révélés et les faux-semblants se meuvent en agressivité. Et si ce retour allait bouleverser l’apparente harmonie familiale ? Et si ces proches ne l’étaient pas autant ? Et si le retour de l’enfant maudit n’était qu’un fantasme ? L’écrivain Laurent Mauvignier met en scène son texte tel un florilège d’interrogations sur le réel et sur l’amour avec d’éblouissants comédiens dont Gilles David, bouleversant dans le rôle du père.
A chacun sa vérité
Ils sont tous là, face à nous, les membres de cette famille déchirée par le traumatisme de la condamnation de Yoann, démoniaque ange blond incarné par Maxime Le Gac-Olanié. La guirlande de bienvenue, colorée et bon-enfant, ils la tiennent par leurs mains, formant eux-mêmes une guirlande générationelle. Au centre les deux parents, Kathy, formidable Nora Krief, et Didier, Gilles David bouleversant. Ces deux-là, unis par les épreuves, notamment lorsque des lettres anonymes en cascade sont venues ternir le quotidien familial il y a quatre ans, au moment de l’incarcération du fils. Du coup, ils sont partis direction le Nord, histoire de se refaire une vie nouvelle. C’est Malou, l’aînée, interprétée par Charlotte Farcet, et son compagnon Quentin, Cyril Anrep, qui ont repris la maison, cube blanc en fond de scène. C’est elle, droite dans ses bottines, dans une robe blanche immaculée, qui semble régir les secrets de famille et qui a invité Clément, Pascal Cervo, l’amant de Yoann qui débarque à la demande de ce dernier.
Monstrueusement proches
Vanessa, la benjamine, incarnée par Lucie Digout, est venue également avec son bébé, ainsi que Romain, le papa du bébé, interprété par Arthur Guillot, une grande gueule qui porte sa jeunesse décomplexée en étendard pour pouvoir ainsi librement proférer des propos racistes. En attendant Yoann, on ouvre une bouteille, tout le monde se réjouit, mais l’attente se fait bien longue et les langues se délient. La spécificité du texte de Laurent Mauvignier est de laisser le champ libre à une parole plurielle, avec des propos qui se succèdent ou se parasitent, comme dans la vie réelle. C’est la bande son, énigmatique et très efficace, qui crée soudain un happening pour passer d’un personnage à un autre. Chacun, face public, face à son interlocuteur, face à lui-même, se raconte, avec sa propre vérité, prise par l’autre pour une baliverne, au mieux un fantasme. Parole errante, souffrante, ironique, affective, dramatique, superficielle, qui se construit et se déconstruit lors de la prise de parole.
Une théâtralité vibrante
Ces mots, proférés comme de petites bombes atomiques, ou des grenades prêtes exploser, ce sont aussi des bouts de peau, des écorchures que les personnages nous laissent au bord de leur terrasse. La maladie du père, le non désir d’enfant de la mère, la stérilité du couple de l’aînée, autant de petites lames qui strient et vont faire exploser les faux-semblants de cette famille réunie. Tandis que Yoann traverse la scène en observant ses proches, comme s’il les rêvait, sans être parmi eux, et que l’amant, Clément, tente de rendre Yoann plus humain en racontant leur vie, sa course à l’échec. C’est de tout cela que parle cette pièce dont on sent les influences de Jean-Luc Lagarce, de Nathalie Sarraute et de Pasolini. Du vrai et des fantasmes, de l’amour fou, de la projection que nous faisons sur tout ce que nous pensons posséder. En vain. Et les mots, nos bouées de sauvetage, qui nous conduisent soit au rivage, soit au naufrage. Du roman au théâtre, une transition très réussie.
Hélène Kuttner
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