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“Pit” création insolite et puissante de Smith et Schraiber à l’Opéra Garnier

©Yonathan-Kellerman-OnP

Portée par le Concerto pour violon de Sibelius et la composition musicale  récente de Celeste Oram, l’œuvre du couple Bobi Jene Smith et Or Schraiber déploie sa puissance et sa virtuosité grâce aux jeunes danseurs. Avec la présence sur scène du violoniste soliste Petteri Iivonen, “Pit” traverse toutes les vies, toutes les émotions, si violentes et déchirantes soient-elles. Un spectacle captivant et insolite créé pour la première fois à Paris.

La musique comme une mosaïque

Ainsi s’exprimait le compositeur finlandais Jean Sibelius dont le Concerto pour violon, d’un romantisme sauvage et déjà très moderne, ensorcelle l’oreille et provoque des frémissements mystérieux. C’est ce mystère, cette mélopée ensorcelante et suave, grave et mystique, qui ont inspiré l’Américaine Bobbi Jene Smith et l’Israélien Or Schraiber, tous deux formés à l’excellente Batsheva Dance Company de Tel Aviv. « Pit », qui signifie la fosse, le trou, le puits, est le titre de ce spectacle qui associe à Sibelius une création contemporaine de Celeste Oram, dissonante et inquiétante, qui vient s’immiscer subrepticement dans le Concerto. Le spectacle débute donc dans une mystérieuse atmosphère qui voit apparaître des corps policés ou sauvages, bridés ou déchaînés, ceux des jeunes danseurs élégamment vêtus par Pieter Mulier d’ALAÏA, en noir ou en blanc. Hommes et femmes s’unissent, se déchirent, se battent, soit en couple, soit en bandes soigneusement genrées. Les femmes en robes longues luttent en talons aiguilles, avec d’étranges codes et des postures que les hommes adoptent plus sauvagement. 

A l’épreuve du corps

©Yonathan-Kellerman-OnP

L’influence de la technique du Gaga d’Ohad Naharin infuse la chorégraphie de ce spectacle dans lequel on retrouve la pâte impulsive et tellurique d’Hofesh Shechter. Rien de linéaire, de classique, d’horizontal ici. Les groupes se forment et se défont, les corps se ploient, basculent en déséquilibre parfait, une bascule lente à l’effet renversant. Il faut une technique et une maîtrise remarquable pour provoquer avec une telle liberté cette sensation de naturel, cet échappement physique, ce basculement constant du corps et du cœur sur le plateau. L’effet d’harmonie ou de chaos, de fusion amoureuse ou de guerre, d’amour ou de terreur, se fait ressentir dans chaque scène. Chaque danseur est d’ailleurs dirigé avec sa propre personnalité, tous sont remarquables d’engagement, nous racontant un voyage pour la liberté et le désir de bonheur, semé d’embûches, de vexations et de privations. Axel Ibot, saisissant dans des solos acrobatiques et virtuoses, Caroline Osmont solaire et léonine diva, Laurène Lévy liane brune ou Marion Gautier de Charnacé en muse sauvage et provocante sont merveilleux, mais leurs camarades le sont aussi dans cette création au croisement serré du collectif et de l’intime.

Hors cadre

 

©Yonathan-Kellerman-OnP

Les scènes de surveillance, de violence ou de subversion, se mêlent aux scène de passion torride, toujours brûlante et violente. Le violoniste solo monte également sur le plateau, magnifique Petteri Iivonen, personnage parmi les danseurs qui tout à coup échange son violon contre une carabine pour tuer deux gros oiseaux. Chaque instant réserve une surprise insolite, un enchaînement original où des danses folkloriques orientales ou d’Europe centrale succèdent à des enchaînements de solos en torsion totale, dans une même folle énergie de vie. Lumineuse ou sombre, grave ou fantaisiste, la danse ici prend toutes les formes, toutes les couleurs des émotions, comme dans la vie. C’est fort et beau à la fois, déchirant et joyeux. Et surtout porté par l’énergie formidable des artistes présents sur le plateau.

Hélène Kuttner 

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