Pina Bausch : Ce livre où elle revit à travers ses danseurs
« Danser Pina » est un livre-événement, fort de centaines de photos magnifiques et des témoignages de plus de vingt danseurs de la compagnie, dont beaucoup de ses piliers et vedettes. Page par page, se constitue la mémoire de cet ensemble si emblématique dans un beau-livre d’excellence, cadeau inespéré pour tous les fans de Pina.
Dix ans déjà… ou presque. C’est le 30 juin 2009 que la célébrissime fondatrice du Tanztheater Wuppertal s’est éteinte sans crier gare. A prénom si singulier, destin hors-normes… On en sent l’ampleur, dans ce recueil de témoignages inédits, où chacun.e – les femmes sont nettement majoritaires – donne son point de vue, personnel et intime.
Qu’on ne s’attende pas à ce qu’elles lavent du linge sale ! Mais tout n’est pas toujours rose non plus. Pina, c’est la vie. Danser chez Pina, c’était vivre Pina et vivre à travers elle. Et depuis la disparition de la fondatrice, dont le nom est un diminutif de Philippina, la compagnie, si inébranlable sous sa direction de 1973 à 2009, s’est mise à tanguer. Les directions artistiques se succèdent et le navire a du mal à garder le cap. Mais c’est une autre histoire…
Des interprètes emblématiques
Alors que cet ensemble continue à se chercher de nouveaux destins, sort « Danser Pina », un livre magnifique qui donne la parole aux pointures qui ont travaillé avec Pina pendant de longues années. Chez ceux qui suivent le Tanztheater Wuppertal, les noms des interprètes qui s’expriment ici font sonner les oreilles : Dominique Mercy, Nazareth Panadero, Ditta Miranda Jasjfi, Héléna Pikon, Cristiana Morganti, Jo-Ann Endicott, Meryl Tankard… et tant d’autres. Sur plusieurs pages, chacun.e dévoile ses souvenirs, des anecdotes, beaucoup de tendresse mais aussi du franc-parler.
Gare aux idées reçues!
Depuis longtemps, certaines légendes et de mythes se sont construites autour de la vie à l’intérieur de cette compagnie. C’est justement Cristiana Morganti, aujourd‘hui autrice et chorégraphe de ses propres pièces consacrées à sa vie avec la compagnie, qui met en garde, sur scène, après avoir quitté la compagnie, contre les stéréotypes trop faciles : « Non, nous ne vivions pas tous ensemble, nous ne mangions pas toujours ensemble… »
Quatre décennies de souvenirs
L’idée de faire enfin parler les protagonistes de ces quarante dernières années fait émerger une sorte de mémoire collective au sein d’un ensemble de danse, où la personnalité des interprètes s’est toujours trouvée au centre de la poésie de cette troupe au destin si particulier. Cette idée est aussi simple qu’elle est nécessaire et même géniale. Elle appartient à Rosita Boisseau, critique de danse au journal Le Monde, qui suit le Tanztheater Wuppertal depuis longtemps et en connait tous les rouages. Les photos de Laurent Philippe, tout aussi exposé parmi les photographes de danse qui comptent, suivent toujours l’interprète qui s’exprime, au plus près de son être, déclinant le répertoire bauschien.
La légèreté d’un ouvrage qui pèse
« Danser Pina « est un livre qui va peser, dans le paysage de la danse. Et ce justement parce qu’il suffit de le feuilleter pour sentir une légèreté, une poésie, une vérité humaine qui transcende l’univers chorégraphique. Sur scène aussi, les interprètes de Pina Bausch étaient d’abord eux-mêmes. Chacun.e y fait part de sa relation personnelle à cette personne et à sa danse. C’est aussi émouvant que c’est précieux pour celle ou celui qui aime la danse et cette troupe, des abonné.es du Théâtre de la Ville aux universitaires. Car cet ouvrage permet vraiment de mieux comprendre la vie de la compagnie de l’intérieur. Et de mieux admirer la beauté des créations.
Paroles de fidèles
« Parfois partager un plat de pâtes vers 5h du matin avec Pina faisait aussi part de la recherche », dit Fernando Suels Mendoza. Et Ditta Miranda Jasjfi s’insurge : « Je ne fais pas, comme on affirme, du Pina Bausch. Je danse ce que je suis ». Et Jo-Ann Endicott : « Avec Pïna on apprenait à se tenir debout, envers et contre tout et à ne jamais abandonner ». Confirmée par Héléna Pikon : « Chacune de ses questions provoquait des ondes comme un caillou qu’on jette dans l’eau ». Et nous terminons ici avec Nazareth Panadero : « On n’a jamais eu le mode d’emploi des émotions avec Pina mais il n’y avait pas besoin d’expliquer ce qu’il fallait ressentir. »
La sérénité est de retour
Peut-être a-t-il fallu ces dix ans depuis la disparition de Pina Bausch pour que les interprètes historiques puissent libérer leur parole. On sent ici bien plus de sérénité que dans le film « Pina » de Wim Wenders, tourné au moment même où le décès de la grande dame prit tout le monde de court. Ce film porte la douleur d’une troupe et des interprètes au moment où ils se sentent soudainement orphelins. Le livre de Rosita Boisseau sort à un moment où le regard de chaque interprète historique prend du recul. C’est la suite du film, le retour vers le bonheur d’avoir fait partie d’une aventure artistique et humaine de grande ampleur, une synthèse parfaite de l’hommage et du reportage. Une centaine de pages pleines de gratitude et de sérénité.
Thomas Hahn
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