La Philharmonie de Paris sacre la danse
Week End Danse à la Philharmonie Du 21 au 24 octobre 2016 Philharmonie de Paris |
Par deux fois en un week-end, la Philharmonie de Paris ouvre sa Grande Salle à la danse: D’abord, Dominique Brun ravive la flamme de Nijinski, avec ses reconstructions radicales sur Débussy et Stravinski. Ensuite, Robert Swinston rend un vibrant hommage à Henri Dutilleux. Mais tout commence par la reprise de « Puz/zle » de Sidi Larbi Cherkaoui, pièce mythique créée à la Carrière Boulbon, au Festival d’Avignon. Le défi de présenter un spectacle chorégraphique sur le plateau de la Grande Salle de la Philharmonie de Paris est au moins aussi excitant à relever qu’il peut angoisser un chorégraphe, car c’est un peu comme entrer dans la Cour d’honneur à Avignon. Avec ses balcons, cette salle, à peine ouverte et déjà mythique, construit et met en scène son propre paysage, conçu pour se mettre au service de l’écoute. Toute proposition visuelle entrera en concurrence avec lui. Paris a désormais sa propre Cour d’honneur. Nijinski en son élément Nijinski y a toute sa place. La musique, la chorégraphie et les éléments visuels (décors et costumes) furent pensés comme une œuvre totale. Sur un plateau qui n’est pas une boîte noire, on pourra cependant faire quelques compromis côté décors. Le fait de se trouver dans un écrin si moderne et pensé pour la musique, compensera et devrait jeter sur Nijinski une lumière plus contemporaine que les décors d’origine. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=CYdwZrX8_98[/embedyt] Voilà qui pourra même donner une poussée contemporaine supplémentaire aux reconstructions de Dominique Brun, dont on verra « Le Sacre du printemps », incontournable, ainsi que « Jeux » et « Prélude à l’après-midi d’un faune » sur les partitions de Débussy. Il faut dire que les reconstructions de Brun se distinguent des autres parce qu’elles peuvent faire comprendre pourquoi, il y a un siècle, le public au Théâtre des Champs-Elysées fut choqué par ces créations. Brun n’est pas seule à reconstruire Nijinski, et surtout « Le Sacre du printemps ». Mais plus que les autres, elle ravive l’énergie brute et la sauvagerie animale de ces pièces ayant fait scandale. Robert Swinston, de New York à Angers Henri Dutilleux, né à Angers en janvier 1916 et décédé en mai 2013, est le plus joué des compositeurs français du XXe siècle. Pourtant, il reste moins populaire qu’un Saint-Saëns ou un Berlioz. Cela changera peut-être un peu, puisqu’on célèbre en 2016 le centenaire de la naissance de Dutilleux. L’un des événements phares de sa commémoration est la création de Paysages Poétiques par Robert Swinston. L’ancien bras droit de Merce Cunningham dirige depuis 2013 le Centre National de Danse Contemporaine d’Angers. Et il fallait peut-être un chorégraphe venu d’ailleurs pour s’intéresser à la musique de Dutilleux qui est, il faut l’avouer, plus coloriée, plus poétique, plus rêveuse et plus narrative que les styles favorisés en danse contemporaine depuis les années 1970. Dutilleux n’est pas minimaliste, il est maximaliste. Et les créations de Swinston sur trois œuvres phares y répondent au mieux. « Métaboles » se présente tel est un retour aux sources chorégraphiques de Cunningham et donc de Swinston, sous forme de quelques portés, ou en introduisant dans cet univers des éléments de narration. Dans « Mystère de l’instant », l’inspiration des paysages de la Loire chez Dutilleux devient palpable et Swinston répond par un intense travail sur l’intention de mouvement et un passage du formalisme à des relations authentiques à soi et à l’autre. Grâce à la danse, les dix mouvements (dix instants?) se vivent tel un seul. « L’Arbre des songes » ajoute une plus grande multiplicité des langages et des vocabulaires, pour une liberté totale. Chaque danseur s’épanouit dans un style personnel, mais tous sont vêtus de couleurs forestières, comme pour nous rappeler qu’aucun écosystème ne connaît une telle diversité des espèces que la forêt. Dans « Paysages poétiques », les différentes époques de l’histoire de la danse coexistent avec bonheur. Eléments de danse baroque, motifs de ballet, la révolution Nijinski, le contemporain. Avec, pour trame de fond, l’approche cunninghamienne du plateau, de l’équilibre, du mouvement… Cherkaoui monumental Si Swinston clôt ce long week-end chorégraphique à la Philharmonie, le soir du lundi 24 octobre, c’est Sidi Larbi Cherkaoui qui ouvre le bal, avec « Puz/zle », présenté du vendredi 21 au dimanche 23. Savant mélange de polyphonies corses, musiques du monde, arts plastiques, architecture et danse, cette pièce pour onze danseurs, sept chanteurs, un musicien et des dizaines de blocs imitant la pierre sera présentée dans la Salle des Concerts. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=8qNfDUhqgRA[/embedyt] Dès l’origine, cette pièce monumentale a été inspirée des murs et du passé industriel de la Carrière Boulbon (Avignon). Inénarrable, elle raconte l’homme, ses conflits ancestraux, les relations entre les mélodies chantées et le labeur des danseurs-travailleurs, à travers l’incessante activité de construction/déconstruction d’édifices monumentaux. Maisons, temples, palais ou gratte-ciels sortent de la chorégraphie des mortels et pointent nos rapports avec l’intime et l’éternel. Ce rapport à la pierre et les chants traditionnels se marient à merveille avec les épisodes parfois violentes et atavistes qui nous embarquent vers quelque mythe originel. « Puz/zle » est une véritable apogée de l’art de Cherkaoui à tisser des édifices spectaculaires, où chaque expression artistique soutient toutes les autres. Thomas Hahn [ Photos : A. Hie / K. Broos] |
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