Phia Ménard, de glace et de vapeur
Belle d’hier De Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault Avec Isabelle Bats, Du 3 au 9 octobre 2015 Tarifs : 10 € – 30 € Théâtre de la Ville M° Châtelet |
Du 3 au 9 octobre 2015 C’est du chaud-froid sur la scène du Théâtre de la Ville ! Avec Belle d’hier, sans doute le spectacle le plus surprenant de la saison, Phia Ménard fait d’abord entrer une quinzaine de statues de glace, pour finalement transformer le plateau en bain de vapeur. Entretemps, les performeuses transforment le plateau en lavoir et en buanderie. Elles travaillent, elles luttent, elles dansent, elles passent de -25 °C à +25 °C. Phia Ménard continue sa traversée des sexes, cette fois pour faire voler en éclats le mythe du prince charmant. Et elle n’attend pas qu’on lui demande d’expliquer son titre, elle le fait : “Une belle d’hier, c’est une voiture historique, généralement photographiée avec une femme en prime.” À travers cette association de deux fantasmes de puissance, elle cible le mythe de l’homme protecteur, sauveur, directeur. Elle sait de quoi elle parle, puisqu’elle a vécu dans son propre corps le passage du sexe masculin au féminin, doublé d’une conscience aiguë de la condition féminine. Pour bien montrer que ce mythe n’est qu’un mythe et qu’il appartient au passé, Ménard orchestre une image carrément moyenâgeuse. Les cavaliers du bal sont des sculptures faites de lourds manteaux et de capuches. Ces coquilles sont vides, sans cerveau donc, et gelées. Symboles de pouvoir, plongées dans une lumière dorée et argentée, elles restent figées devant un plan incliné scintillant. Mais il faut du temps pour sortir tous les éléments de la chambre froide à -25 °C et les assembler en personnages. Il faut du temps pour attendre et observer leur effondrement, accéléré par arrosage à tuyaux d’eau. Mais le vrai travail ne fait que commencer. Le plateau se transforme en lavoir ! Sous nos yeux ressurgit toute la corvée de la lessive d’avant l’invention du lave-linge. Les femmes travaillent comme en 14. Elles se passent les sceaux en chaîne, frappent sur les manteaux (ou sur le mythe du prince charmant) avec d’énormes battes, agitent leurs jambes dans les seaux… Si elles portent des tutus (ou presque), la création du spectacle à l’Opéra-Comédie de Montpellier a été traversée par l’irritation d’une frange du public croyant que dans une salle pareille on verrait automatiquement de la “belle danse”. Où commence la danse ? Belle d’hier pose aussi cette question-là. Les images sont de grande beauté, jusque dans la disparition finale sous un brouillard épais qui forme de véritables nuages avalant les performeuses. Entretemps intégralement dévêtues, elles sont secouées par des fous rires libératoires. “Quand la glace fond, on voit le mythe se transformer en serpillière”, dit Ménard, mais elle utilise le terme dans son sens premier, celui d’un tablier ou linceul. Ici, la lessive se transforme en art, pendant que le public est inondé d’images. Thomas Hahn [Photos © Jean-Luc Boujault] |
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