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Père : Arnaud Desplechin passe du cinéma au théâtre en beauté

27 septembre 2015
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père

Père

D’August Strindberg

Mise en scène d’Arnaud Desplechin

Avec Martine Chevallier, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Alexandre Pavloff, Michel Vuillermoz, Pierre Louis-Calixte, Claire de La Rüe Du Can et Laurent Robert en alternance

Tarifs : de 5 à 41€

Réservation en ligne
ou au 01 44 58 15 15

Durée : 1h55

Comédie-Française
Place Colette
75001 Paris

M° Palais Royal-Musée du Louvre (lignes 1 et 7)

www.comediefrançaise.fr

père copiePour sa première mise en scène à la Comédie-Française, le cinéaste Arnaud Desplechin réussit à diriger des comédiens formidables dans une pièce naturaliste d’August Strindberg sur le couple et la famille. Très en avance sur son époque, l’auteur fait du couple un véritable champ de bataille gagné par la folie. Magistral.

Une guerre des sexes

C’est l’histoire d’une mise à mort, du couple, de l’homme dominant par la femme dominée. En 1887 en Suède comme partout dans le monde au XIXe siècle, toute femme est sous tutelle de son mari qui, en tant que père tout-puissant de la famille, possède le droit de décider ce que bon lui semble pour ses enfants. Strindberg, qui aura été marié trois fois et qui aura vécu douloureusement plusieurs tempêtes conjugales, dessine le portrait d’un capitaine pétri de tradition militaire, élevé et entouré par des femmes, qui souhaite éduquer sa fille loin de la maison et des influences féminines qu’il juge dévastatrices. Au début de la pièce, on le voit dans sa redingote étoilée, devisant sur ce conflit qui le mine avec son beau-frère pasteur. La puissance de la mise en scène de Desplechin est de montrer de manière la plus fine et la plus précise possible, sans artifice ni fioritures, la détresse et la solitude de cet homme. Michel Vuillermoz, qui trouve ici sa plus puissante incarnation, paraît dès le début du spectacle résigné mais combatif, en proie aux tourments d’une stratégie familiale contrée par la révolte de son épouse. 

père 2Une mise en scène à l’écoute de chacun

Dans cet immense bureau-bibliothèque où ne semble briller aucun rayon de soleil (superbe scénographie de Rudy Sabounghi) et où le savoir devient pesant, le capitaine rumine donc son mal-être de victime incomprise. Mais Desplechin se garde bien de faire de son épouse une harpie hystérique ou une autoritaire et forte Nordique. Anne Kessler, frêle et aérienne comme une plume dans sa robe de soie bronze, tisse une toile d’araignée faite de mensonges et de provocations pour déstabiliser son ennemi et le faire basculer dans la folie. Elle le fait sans l’annoncer, abeille qui fait son miel de trahir son conjoint en lui faisant douter de la paternité de leur fille. Pas de manichéisme encore ici, mais une bonne dose d’amour très vénéneux, car Strindberg et Desplechin donnent raison à tous deux, victimes de l’ordre social qui fait des hommes les chefs de meute et des femmes des choses soumises.

Vuillermoz admirable

Il faut avouer que Michel Vuillermoz, dans un rôle complexe, déploie l’étendue de sa palette d’émotions, passant de la raideur militaire au doute existentiel, de la colère explosive à l’effondrement puéril. Son jeu est fait d’une humanité meurtrie par l’incompréhension de l’évolution du monde qui l’entoure. Entouré de Thierry Hancisse en pasteur ambigu et impuissant et de Martine Chevallier en nourrice d’une tendresse monstrueuse et merveilleuse, l’acteur nous fait partager un monde aujourd’hui révolu, un ancien ordre moral qui nous dit encore beaucoup sur nos propres frustrations et sur les dégâts de la manipulation des êtres aimés. Au travers d’une pièce d’une puissance remarquable.

Hélène Kuttner

[Photos© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française]

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