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“Pelléas et Mélisande” : le romantisme noir de Wajdi Mouawad

Helène Kuttner 2 mars 2025
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©Benoîte Fanton /ONP

À l’Opéra de Paris, l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad met en scène l’unique opéra que Debussy composa en adaptant la pièce symboliste de Maeterlinck. Un chef-d’oeuvre d’impressionnisme musical, ici magnifié par la présence de la soprano Sabine Devieilhe, entourée d’une belle distribution qui est dirigée respectueusement par le chef d’orchestre Antonello Manacorda.

Sous l’haleine de la mort

©Benoîte Fanton /ONP

Seul et unique opéra de Debussy, Pelléas et Mélisande tisse un lien énigmatique entre le symbolisme du poète belge Maurice Maeterlinck et l’impressionnisme musical de Claude Debussy. Ce dernier mit près de dix années pour composer son chef-d’œuvre en s’efforçant d’accomplir son rêve de « collaboration mystérieuse de l’air, du mouvement des feuilles et du parfum des fleurs et de la musique », alliant, à l’instar du poète Verlaine, les sons et les mots dans une alchimie qui donne à chaque moment, à chaque personnage une simplicité et une sensibilité inouïe. Le scandale qui accueillit la réception publique et journalistique de cette œuvre en 1901 à l’Opéra Comique n’eut d’égal ensuite que sa postérité, inspirant les jeunes compositeurs du 20° siècle tels Dukas, Ravel et Satie qui trouvèrent dans cette œuvre de quoi nourrir un intense et novateur renouveau mélodique. A l’opposé des leitmotiv de Richard Wagner et de sa dramaturgie au lyrisme symphonique exacerbé, Debussy fait « parler » ses chanteurs avec une simplicité la plus naturelle du monde en adaptant ses lignes musicales au phrasé des personnages, dans une intimité bouleversante et nouvelle.

Une mise en scène de l’indicible

©Benoîte Fanton /ONP

Contrairement à d’autres, Wajdi Mouawad, qui est auteur de ses pièces, fond totalement et respectueusement son geste artistique dans la narration précise du livret, faisant appel au travail vidéo de Stéphanie Jasmin qui multiplie les images de forêts sauvages, de plongées aquatiques, de perspectives bleutées de marais et de joncs. Nous sommes avant tout dans un conte, oh combien cruel puisqu’il s’achève par la mort des deux amants. La scénographie privilégie le noir et les couleurs sombres, bleutés et gris, que vient éblouir avec une précision cristalline la belle lumière d’Eric Champoux. Trois niveaux viennent dissocier le réel et former la limite entre le monde sauvage, autoritaire et masculin de Golaud, prince médiéval, chasseur et possessif, et celui plus doux et aquatique de Mélisande, la jeune fille blonde qu’il vient de trouver seule au bord de la rivière. En fond de scène, un rideau de cordes serrées forme le mur du château, en même temps que la chevelure de Mélisande, écran mobile où viennent s’incruster, comme dans un rêve, des projections marines. Chacun des personnages entre et disparaît à travers ce cordage, limite tangible entre les différents niveaux du conte, donnant à l’histoire la profondeur d’un mystère à déchiffrer. Au devant du plateau, un cheval blessé exhibe sa panse ouverte et sanguinolente, les pattes en l’air.

Une distribution parfaite

©Benoîte Fanton /ONP

Sabine Devieilhe prête à Mélisande son aristocratique et sauvage beauté, voix claire, aigus frémissants, lenteur des déplacements qui lui donnent l’impression, comme dans les spectacles de Bob Wilson, d’une apparition lumineuse, entre Ophélie et la petite sirène. Sa chevelure blonde l’enveloppe, elle trottine dans une robe couleur d’eau mais Pelléas ne peut l’atteindre. Le baryton britannique Huw Montague Rendall reprend le rôle tenu lors du dernier festival d’Aix en Provence, et fait preuve d’une grâce totale et d’un talent vocal parfait : séduisant et sensible, diction précise du français et habileté dans les médiums projetés délicatement, avec la vivacité impulsive de sa jeunesse. Terrien et rupestre, Gordon Bintner excelle dans Golaud et fait preuve d’une magistrale et déchirante incarnation dramatique. Rugueux à souhait, le baryton basse oppose sa puissance terrienne à l’amourette platonique et romanesque des « deux enfants » Pelléas et Mélisande. Jean Teitgen prête son timbre impérial et solaire au roi Arkel, avec une maturité musicale irréprochable. On regrettera seulement le manque d’inspiration et de puissance vocale de la mezzo Sophie Koch, tout du moins lors de la première, dans une mise en scène qui la contraint peut- être trop. Enfin, dans le rôle de l’enfant Yniold, Anne-Blanche Trillaud Ruggeri, de la Maîtrise de Radio France, assume pleinement la candeur juvénile et l’inconscience de l’enfant manipulé. Dans la fosse, le chef Antonello Manacorda, en parfait connaisseur de la musique française, impulse à l’orchestre une mesure raisonnable, une précision et un équilibre remarquables, même si la passion et la fougue de cette partition complexe ne viennent à éclater que dans le dernier acte. Belle et sage, sa direction musicale se veut avant tout respectueuse de la partition impressionniste de Debussy, ce qui est déjà tout à fait remarquable. 

Helène Kuttner   

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