“Peer Gynt” : une œuvre totale qui mêle théâtre et musique dans une flamboyante mise en scène d’Olivier Py
©-Thomas-Amouroux
Au Théâtre du Châtelet dont il est directeur, Olivier Py met en scène le drame insensé d’Ibsen en le mêlant avec la musique célèbre de Grieg. Un voyage épique avec voyous et trolls nordiques de près de quatre heures, très impressionnant, où triomphe avec une démesure survoltée le comédien Bertrand de Roffignac. À la baguette, la cheffe d’orchestre And Tali dirige avec élégance l’Orchestre de chambre de Paris.
Un anti héros détestable autant que séduisant

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Mais que recherche-t-il donc, ce déluré jeune homme qui passe sa jeunesse à se battre avec les voyous du quartier, à fuguer comme un chat sauvage, au grand désespoir de sa pauvre mère terrifiée, à tomber amoureux fou de jeunes femmes promises à d’autres, à qui il demande un amour absolu, impossible, pour mieux les quitter ensuite et courir le monde ? Totalement fou Peer Gynt ? Ou simplement avide d’émotions fortes, de désirs d’absolu, de bouleversements des rapports sociaux, politiques et amoureux ? Il se prend tantôt pour un empereur, tantôt pour un clochard, nous embarquant au plus profond de nos questionnements et de ceux qui habitent le Norvégien Ibsen lorsqu’il écrit ce drame totalement fou en 1866 : comment affronter le monde autrement que par le mensonge ? Comment se trouver soi-même ? En affrontant les autres, en les dominant ? C’est le comédien Bertrand de Roffignac qui endosse l’habit de ce personnage insaisissable, vantard et roublard. Il déboule sur le plateau avec une énergie démoniaque, énergie qu’il conservera intacte durant les près de quatre heures de spectacle, un défi. L’acteur gesticule et se contorsionne à l’image d’un grand enfant, roulant des yeux ou se battant comme Dom Quichotte à l’assaut de ses moulins et de ses rêves, tour à tour prince oriental ou loque misérable, amoureux transi ou délinquant notoire.
Un harmonieux mariage entre théâtre et musique

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Saluons le travail poétique et dramaturgie d’Olivier Py qui s’est efforcé de traduire le texte en l’adaptant dans une toute nouvelle version, qui respecte la totalité des cinq actes ainsi que les passages chantés et la musique de scène, avec un orchestre somptueux, composé d’une cinquantaine de musiciens. Cette partition musicale hétéroclite, qu’Edvard Grieg était peu enclin à composer lorsqu’Ibsen la lui demanda en 1874, ce mélange de complaintes folkloriques, de cantiques et de chansons populaires, fera finalement la gloire et la postérité du compositeur. La cheffe d’orchestre Anu Tali dirige fougueusement l’Orchestre de chambre de Paris, que l’on découvre lorsque le rideau de scène s’ouvre. Romantisme allemand, progressions chromatiques audacieuses, chansons populaires qui marquent l’identité norvégienne, comme la Chanson de Solveig ou la mazurka d’Anitra, la partition musicale égrène ses splendeurs délicates. Alors que sur le plateau des comédiens et chanteurs épatants grouillent d’une vitalité savoureuse, mêlant la danse au chant et à la pantomime.
Une scénographie astucieuse

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Pierre-André Weitz crée depuis trente cinq ans avec Olivier Py des décors dynamiques, légers à manipuler et qui jouent avec le réel et l’imaginaire. Ici, il reprend le système de boites, de tréteaux et de maisons suspendus, comme dans un tableau de Chagall. Il crée aussi les costumes de scène, version Shrek verdâtre pour les Trolls qui portent aussi des prothèses de tête de cochon, ou version plus sobre pour Peer qui finit simplement en slip de coton blanc, se débarrassant de ses oripeaux noirs. Dans cet espace de jeu où tout est possible, mais où la lutte pour la survie se révèle souvent dramatique, Eros et Thanatos se heurtent en permanence. Et les interprètes s’en donnent à cœur joie. On retrouve avec plaisir Damien Bigourdan et sa plasticité vocale et physique dans le roi des Trolls et le luciférien Courbe. Céline Chéenne, actrice complice d’Olivier Py depuis de nombreuses années, est une Aase maternelle, violente et déchirante. Raquel Camarinha, soprano portugaise, conjugue une adresse vocale et une parfaite diction française, avec en plus un engagement dramatique remarquable et Clémentine Bourgoin se révèle parfaite dans sa composition truculente d’Anitra. Emilien Diard-Detœuf, Marc Labonnette, et tous les autres interprètes danseurs, chanteurs et comédiens conjugent également talent et vitalité dramatique. On sort du spectacle un peu rincé par cette démonstration à la durée et à l’extravagance hors-normes, mais on salue l’exploit généreux, collectif et virtuose de cette aventure qui réconcilie théâtre et musique.
Helène Kuttner
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