Peeping Tom et un “père” en délire au Théâtre de la Ville
Vader De Peeping Tom Mise en scène de Franck Chartier, Gabriela Carrizo Avec Leo De Beul, Marie Gyselbrecht/Tamara Gvozdenovic, Hun-Mok Jung, Simon Versnel, Maria Carolina Vieira, Yi-Chun Liu, Brandon Lagaert et dix amateurs parisiens Du 7 au 11 juillet 2015 Durée : 1h30 Théâtre de la Ville M° Châtelet |
Vader de Peeping Tom réunit théâtre gestuel, contorsion, musique et chant, dans un commentaire philosophique et poétique sur la condition humaine en temps “modernes”. Dans leur langage scénique surréaliste, ils nous suggèrent qu’une maison de retraite peut être un cabaret des rêves, au lieu d’être un hangar pour personnes en fin d’imaginaire.
Quinze ans déjà que les Peeping Tom, troupe créée par Franck Chartier et Gabriela Carrizo, font office de grande référence de la scène belge. Apparus en 2001 avec Le Jardin, ils sont passés par tous les étages. Du Sous-Sol au 31, rue Vandenbranden, en transitant par Le Salon, ils ont creusé, loué ou loti des espaces théâtraux, (pré)occupés par la vie familiale. Dans les spectacles de Peeping Tom, il est inévitablement question du vivre-ensemble. Cette compagnie flamande étant en même temps intercontinentale (Carizzo est argentine), on comprend pourquoi cette question les hante au point de devenir obsessionnelle : sommes-nous capables de vivre ensemble ? Une question qui se pose aux communautés belges d’une façon particulière. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=J7S-TMsvjq8[/embedyt] La figure du père Tout vivre-ensemble commence dans une famille, situation difficile en soi. On ne choisit ni ses parents ni ses enfants. Pas étonnant alors que les liens soient définis par les rapports autoritaires et que la trilogie actuelle de Peeping Tom ouvre par la figure du père : Vader. Le patriarche est toujours, et jusqu’à preuve du contraire, la figure qui domine l’imaginaire familial. Dans les épisodes à suivre, compagne et progéniture pourront faire valoir leur attachement ou leur rejet du paternalisme. Pour l’instant, Leo De Beul, dans sa deuxième production avec Peeping Tom, joue le père en déclin et en fauteuil roulant qui pourtant continue de se rêver en pop-star, comme quand il était jeune. Le corps s’incline, les phantasmes restent… Vader se déroule dans une maison de retraite où la vie est réglée comme du papier à musique, même si la musique live accompagne les repas. C’est une maison de luxe où “l’un des hommes les plus riches de Belgique”, grand propriétaire de forêts (sans aller jusqu’à parler de cerisaies), affronte le monde qui change et fait brutalement irruption sous la forme du fils. Dans Le Salon, ce thème était déjà au centre et Simon Versnel dans le rôle du grand-père flirtait avec l’incontinence. Les temps changent Les Peeping Tom sont toujours là pour parler de ce que la bonne société aime à cacher sous des tapis aussi énormes que celui qui couvre le sol dans Vader. Mais sur la forme, le succès a pris sa rançon, même chez Chartier et Carizzo. De plus en plus volumineuses, les productions de Peeping Tom sont devenues, au fil du temps, plutôt sages et visuellement moins iconoclastes mais plus poétiques. Au sein de cet apaisement esthétique, Vader joue pourtant de tous les contrastes. La vieillesse des uns fait face à la souplesse des autres avec leurs contorsions incongrues, marque de fabrique de Peeping Tom. Les soignants se transforment en fantômes hystériques, les présences asiatiques (le Coréen Hun-Mok Jung et la Taiwanaise Yi-Chun Liu) perturbent les pensées monotones des dix amateurs parisiens qui peuplent la salle d’activités, où l’on se parle ou se perd dans ses pensées. Être jeune, c’est se faire secouer par ses névroses et ce n’est pas plus facile à vivre… Une pièce sur le temps qui passe Dans une ambiance à la fois tchekhovienne et surréaliste, on songe ici autant à Kontakthof de Pina Bausch qu’aux beaux solos de ses pièces des années 2000. Vader est une pièce sur le temps qui passe et qui se termine avec cet homme d’affaires de fils, rejoignant à son tour la papy-troupe en fauteuil roulant. Toujours aussi pressé, l’ex-jeune homme… En rejoignant son père, il apprendra à vivre en paix. Que reste-t-il donc à Léo, ex-lion à la crinière grisonne, si ce ne sont ses rêves ? Ses projections dans l’avenir sont devenues des rêves d’une vie qui n’a jamais existé. Mais la tendresse avec laquelle Vader se penche sur lui dit en même temps qu’il était peut-être mieux ainsi. On est loin, très loin de l’hyperréalisme de Romeo Castellucci et son duo père-fils dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, présenté sur le même plateau, mais bien plus difficile à affronter. Dans Vader, la frontière avec la folie devient d’autant plus incertaine que la mort se meut en voisin de plus en plus présent. Cette fresque parle de l’ultime phase de la vie avec un regard décalé et permet au spectateur de s’y projeter avec un sourire certain. Et c’est peut-être le déclin du patriarche qui ouvrira les portes aux épisodes suivants, consacrés à la mère (la grande absente de Vader) et aux enfants. Thomas Hahn [Photos © Herman Sorgeloos] |
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