“Passeport” : une ode joyeuse à l’altérité
Dans “Passeport”, la dernière pièce d’Alexis Michalik, éditée chez Albin Michel, un réfugié africain perd la mémoire alors qu’il doit reconstituer le fil de sa vie pour être autorisé à s’installer en France. Que deviennent nos identités lorsque les voyages cabossent nos existences ? Quel espoir d’amour, de fraternité, de travail et de survie peut conduire à se fabriquer une nouvelle vie ? Qu’est-ce que l’être humain, sinon un amoncellement de désirs et de frustrations, de rencontres et d’identités, tissés dans un seul corps ? Toutes ces questions traversent ce beau spectacle porté par sept comédiens remarquables, qui interprètent une quinzaine de personnages dans une lumineuse épopée.
Dans la jungle de Calais
Issa est un jeune Erythréen que l’on retrouve sévèrement blessé dans la jungle de Calais, l’immense bidonville de plusieurs hectares qui abritait il y a quelques années plus de dix mille personnes en attente de régularisation. Actuellement, sur le terrain de dunes situé à l’extérieur de la ville, deux mille exilés continuent de camper malgré une répression policière féroce, en attente de traverser la Manche pour s’installer en Angleterre. La vie s’organise, ou plutôt la survie. Très présentes, les associations humanitaires tentent de porter secours à ces damnés de la terre par des conseils administratifs ou une aide aux soins médicaux. Pourquoi, par qui le jeune Issa a t-il été blessé ? Pourquoi ne se souvient-il plus de rien ? Comme toujours dans les spectacles d’Alexis Michalik, on entre d’une manière directe dans le vif du sujet avec des jeunes comédiens vibrants, dans une scénographie ultra légère et des lumières à l’efficacité redoutable. Nous sommes au service des urgences, l’action va très vite, les comédiens déboulent sur scène et changent de personnage à la vitesse de la lumière. Les soins s’organisent, une jeune fille assiste le migrant.
La vie devant soi
De l’autre coté de la barricade de protection, il y a Lucas, un jeune policier qui doit éprouver l’épaisseur de sa cuirasse à travers ce marasme humain. Il y a Jeanne, jeune journaliste, en reportage sur ce site explosif. Lucas va faire sa connaissance et Issa, quant à lui, une fois soigné, trouvera en Yasmine, la bibliothécaire, une muse existentielle. Il trouvera aussi en Ali, un réfugié syrien, un compagnon de débrouille, et en Arun, l’Indien Tamoul, un compère de chambrée dans un container aménagé. L’histoire se tricote ainsi avec une myriade de petites intrigues qui nous baladent, non sans humour, de Calais dans la famille de Lucas, d’un container à un bureau de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), pour aboutir à Mignaloux-Beauvoir sur la Nationale 147 près de Poitiers, pour y trouver un emploi. L’auteur metteur en scène se moque ainsi de l’incroyable chemin de croix administratif qui décourage, sans la condamner vraiment, toute tentative d’intégration, derrière les sigles barbares et les acronymes révulsifs, derrière les empreintes digitales qui marquent à vie. Les trois compères, Issa l’Érythréen, Arun l’Indien et Ali le Syrien, finiront par réunir leurs intelligences malicieuses et créer une cantine exotique aux recettes incroyables.
Une histoire d’amour
Michalik a toujours le don d’embarquer le spectateur, même dans les situations les plus folles. Il part de situations très réalistes, qu’il fait vriller et transforme par son imagination débordante et aux comédiens d’une exceptionnelle fraîcheur. Jean-Louis Garçon interprète Issa, héros fragile et d’une grâce lumineuse. Christophe Bayemi est Lucas, le policier aux origines mystérieuses parti sur les traces de son enfance. L’humoriste Kevin Razy incarne Arun, le pragmatique chef de bande, et Fayçal Safi est Ali, l’intellectuel syrien. Patrick Blandin enchaîne de fabuleuses compositions entre un père raciste et un banquier magnanime. Quant aux filles, Manda Touré et Ysmahane Yaqini campent tour à tour une dizaine de personnages à la sincérité éblouissante et à l’énergie solaire. Ce sont eux, ces comédiens nerveux et drôles, émouvants et tragiques, qui font vibrer ce texte aux accents humanistes, ces dialogues réalistes et optimistes à la fois, qui nous disent la chance de la rencontre, la curiosité d’une altérité, l’enrichissement des cultures que l’artiste Sly Johnson magnifie en musique. Bien sûr, on pourra reprocher à l’auteur un excès d’optimisme et de romanesque, mais la manière vivante, heureuse, drôle et généreuse dont il traite l’un des sujets qui crée en ce moment le plus de polémiques, la question de l’immigration, est à saluer haut la main.
Hélène Kuttner
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