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The Four Seasons Restaurant – Théâtre de la Ville

22 avril 2013
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The Four Seasons Restaurant - Théâtre de la Ville

Ce spectacle, troisième volet de la trilogie « Le Voile noir du pasteur » de Romeo Castellucci, a été présenté au festival d’Avignon en 2012 et a suscité des critiques à la fois laudatives et perplexes, tant le théâtre se trouve hissé dans un choc artistique hors cadres. Le précédent spectacle, Sur le concept du visage du fils de Dieu, avait soulevé des réactions hostiles et intempestives de la part de catholiques intégristes mais ici, si un certain mécontentement s’exprime du côté d’une partie du public, le déroulement n’en est pas pour autant perturbé et la puissance irradie.

Il ne faut pas aller voir The Four Seasons Restaurant pour y entendre des échanges dialogués autour d’une intrigue ou d’une thématique construite par des personnages bien dessinés. Le théâtre de Castellucci est une nouvelle forme d’art devenue une référence depuis maintenant environ vingt ans, où la scénographie, la peinture, les sons et la présence des comédiens provoquent un événement interrogatif.

La révolte de l’homme abandonné

Le titre du spectacle est le nom d’un restaurant situé sur la 54ème avenue de New York, où le peintre Marc Rothko, qui s’est suicidé en 1970, devait exposer des toiles monumentales qu’il décida finalement de ne pas exposer, préférant se détourner de ce lieu de consommation. Le geste de Rothko, sans qu’il soit ni montré ni développé, sert de socle à cette création qui s’articule autour de la solitude de l’artiste face aux nécessités du contrat social, la tentation de la fuite pour se soustraire aux regards faussés d’une société gloutonne, l’alternative entre un pacte avec le monde ou le retrait absolu telle la mort. 

Donnant forme à ce point de départ, la partie textuelle du spectacle est consacrée au poème de Hölderlin sur Empédocle, philosophe et homme de science qui se jeta dans l’Etna environ cinq siècles avant JC. Sa mort volontaire, alors qu’il fut honni après avoir été vénéré, symbolise le choix de l’individu qui librement s’affranchit d’une distance avec les hommes de son temps en retournant dans le feu originel. Hölderlin, auteur du poème, sombra lui-même dans la folie pendant plus de trente ans, s’évadant et se réfugiant au sein de son propre corps. 

Pour dire ce poème dramatique, dix comédiennes graciles, dont six figurantes, occupent le plateau dans une gestuelle et une diction délicate, malgré une précédente scène de mutilation durant laquelle elles se coupent la langue. Elles parlent en italien et le sur-titrage défile en lettres claires au-dessus de la scène presque vide. D’entrée de jeu, cette symbolique de la coupure et de la rupture se fait assourdissante, à travers un enregistrement tonitruant des rafales explosives au bord d’un trou noir. L’amas d’étoiles qui se retire de la voie galactique, tombant dans un gouffre céleste, s’entrechoque ainsi avec l’être solitaire qui crée, crie et se retranche de la masse humaine à laquelle il appartient et dont le regard blesse. Malgré la violence qui sévit dans le trou noir ou la fureur du poète affamé de vérité, les flammes ne s’éteignent ni d’un côté ni de l’autre. Des milliers d’années-lumière transmettent les sons perdus dans l’espace-temps, et pareillement, la pensée cosmique d’Empédocle, la poésie vibrante de Hölderlin, le geste de Rothko résonneront dans l’infinité à venir. 

Le spectacle doté d’une extraordinaire richesse de sons donne à voir les mouvements les plus vastes jusqu’aux plus infimes, comme par exemple le gazouillis d’oiseaux qui suffit à envahir le plateau d’un printemps d’une pureté saisissante. Les images et les tableaux se succèdent après le texte de Hölderlin ; une chorégraphie de la naissance est magnifiée par les comédiennes, puis un cheval à terre, un volcan, et un visage en noir et blanc et aux yeux clos, emportent les spectateurs dans un vertige sidéral et sidérant. Des réfractaires ont quitté la salle mais le maëlstrom gronde et submerge par une beauté fracassante, que Romeo Castellucci réveille au cœur du volcan humain. 

Isabelle Bournat

The Four Seasons Restaurant

Mise en scène de Romeo Castellucci

Compagnie Societas Raffaelllo Sanzio

Avec Chiara Causa, Sylvia Costa, Laura Dondoli et Irene Petris

Jusqu’au 27 avril 2013 à 20h30
Le dimanche à 15 

Tarifs : de 17 à 30 euros

Réservations par téléphone au 01.42.74.22.77

Durée : 1h30

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris
M° Châtelet

www.theatredelaville-paris.com

[Visuel : © Christophe Raynaud de Lage – Festival d’Avignon]

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