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“Othello” : une magistrale leçon de théâtre à l’Odéon

© Jean-Louis Fernandez

Jean-François Sivadier propose une version rock magistrale et très inspirée au Théâtre de l’Odéon avec un duo de comédiens explosifs : Nicolas Bouchaud en Iago et Adama Diop en Othello. Une version sauvage et puissante, qui mêle le tragique au grotesque à la manière d’un Brecht contemporain : en lien direct avec le public.

En pleine lumière

© Jean-Louis Fernandez

Dès le début du spectacle, le spectateur est saisi. Les lumières comme des bougies vitales tissent un lien entre la scène et la salle, même éclairage ambré, tandis que Iago-Nicolas Bouchaud se tient sur le plateau prêt à nous harranger par sa violente diatribe. « Tais-toi, mais tais- toi donc » lui lance alors, de la salle, Roderigo-Gulliver Hecq, son ami. Mais le Iago de Nicolas Bouchaud, comédien complice du metteur en scène, dont on connaît l’énergie des logorrhées et la présence phénoménale, ne se taira pas. Au contraire, improvisateur hors-pair et manipulateur diabolique des désirs et des fantasmes des autres, il va par jalousie et envie, chercher à nuire à Othello, brillant stratège militaire arabe d’Afrique du Nord, surnommé le Maure, qui vient d’épouser en cachette la belle Desdémone, fille d’un  grand sénateur vénitien. C’est que la guerre gronde entre Venise et Chypre, et Othello, nommé général des armées vénitiennes, mais dont la peau est basanée, suscite bien des jalousies. En outre, Roderigo en pince pour Desdémone qui a choisi le camp de l’impossible amour, celui qui va l’unir sans l’autorisation de son père à Othello, héros militaire, héros amoureux, que campe avec une humble et fine justesse Adama Diop.

Une tragédie de la possession

© Jean-Louis Fernandez

La puissance de la pièce de Shakespeare, servie ici dans la traduction limpide de Jean-Michel Déprats, est de nous conduire à construire l’enchaînement de l’intrigue tout en nous faisant pénétrer dans le cœur de chaque personnage. Dès lors, le texte joué pour la première fois en 1604, devient totalement contemporain dans cette scénographie faussement dépouillée qui laisse vide l’immense plateau, cerné de grandes bâches de plastique transparent pour mieux faire pénétrer les flots de lumière. On connaît l’histoire : Iago, jaloux, envieux, torpille le cœur et le cerveau d’Othello en lui faisant croire que sa femme Desdémone le trompe avec Cassio, un de ses amis lieutenant. Le ver est dans le fruit, et ce Méphistophélès ensorcelle tel un venimeux serpent le Maure qui finit par étrangler sa femme, ivre de colère et de rage. Drame de la jalousie perpétré dans un climat guerrier où le machisme et la misogynie se répandent aussi aisément qu’une trainée de poudre dans un champ de mines, Othello est considéré comme un pièce à part dans l’univers shakespearien.

Dalida, Queen et Joker

© Jean-Louis Fernandez

La force du spectacle présenté ici tient tout d’abord ici dans le talent des comédiens présents sur le plateau, engagés dans un show entre tragique et burlesque, qui font jaillir le texte de Shakespeare hors de sa gangue poétique. Certes, on pourra trouver que les digressions comiques et les références sont trop présentes, qu’elles ralentissent le rythme. Sont convoqués le groupe anglais Queen,  la chanteuse Dalida et même le personnage ironique de Jocker à la face blanche et clownesque. On danse, on swingue sur la scène et les percussions claquent comme des pulsations cardiaques, en même temps que sur le plateau on se castagne et on saigne. Mais le ridicule de Cyril Bothorel en Brabantio, jambes nues sous un peignoir ridicule, qui voit sa fille convoler avec un ancien esclave devenu mercenaire, la pitoyable posture de Stephen Butel en Cassio, battu et trompé, la fougue solaire de Jisca Kalvanda, en Emilia vengeresse de toutes les femmes, ravissent le spectateur. Quant à Emilie Lehuraux, elle incarne une Desdémone déterminée, sensuelle, d’une lumineuse clairvoyance, tout le contraire de la blanche colombe qui fait généralement l’affaire. Son personnage est poignant de justesse et de noblesse, et elle porte en elle le sort de toutes les femmes maltraitées, de toutes les femmes sacrifiées par la violence des hommes. 

Hélène Kuttner 

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