Onéguine – John Cranko – Opéra Garnier
Chatterton, Werther, Onéguine ; un Français, un Allemand, un Russe. Soit trois figures européennes qui se retrouvent sous les mêmes traits : celui du Romantique maudit en proie à la mélancolie et à la nostalgie. Que cela soit sous forme théâtrale, épistolaire ou poétique, ces trois mythes ont su traverser le temps et les âges. Parmi eux, Eugène Onéguine tient une place à part entière.
Après le roman en vers de Pouchkine écrit entre 1823 et 1831 et l’opéra de Tchaïkovski composé en 1877, John Cranko s’est inspiré d’Eugène Onéguine pour en faire un ballet créé en 1965. Ce n’était pourtant pas gagné pour le chorégraphe sud-africain, lui qui a dû faire face aux réticences des plus tchaïkovskiens d’entre tous, accusant ce projet de « blasphème musical ». C’est finalement à Stuttgart qu’il mena son travail à bien, retirant à son titre le prénom du jeune poète pour le rendre encore plus intemporel et (peut-être) répondre à ses détracteurs. De blasphème, il n’y en a pourtant aucun sur la scène de l’Opéra Garnier où il est de nouveau présenté, mais à l’inverse, de la pure poésie.
Onéguine ? « Un noble démon d’un ennui secret »
« Quand je n’ai pas d’honneur, il n’existe plus d’honneur». Il n’ y a probablement pas meilleur portrait que ces vers tirés de l’ouvrage de Pouchkine pour décrire cet Eugène Onéguine. Ce n’est d’ailleurs par pour rien s’ils apparaissent dès le lever de rideau. Pour John Cranko, comme pour Dostoïevski, ce personnage ressemble à ce « noble démon d’un ennui secret ». De par sa taille, son buste raide et son visage pâle, le danseur canadien Evan McKie campe un parfait Onéguine avec ce qu’il faut d’amertume, de tristesse et de peine. Remplaçant le danseur étoile blessé Nicolas LeRiche, McKie semble aussi fière que son personnage au gré de ses mouvements mélancoliques d’amoureux transi.
La chorégraphie de Cranko a en effet ceci de censé qu’elle apporte une réflexion sur ce personnage mystérieux à travers chacun de ses mouvements. Se connaît-il vraiment ou n’est-il que le double de lui-même ? Ainsi, ce n’est pas pour rien si Tatiana l’imagine sortir du miroir pour une unique danse qui sera la seule à être véritablement « vécue » par nos deux vrai-faux amoureux. Avec sa souplesse et le talent qu’on lui connait, Aurélie Dupont apporte à son personnage la juste dose d’innocence et de pureté qu’il lui faut. Devant les décors et costumes classiques de Jürgen Rose et sur les arrangements de Kurt-Heinz Stolze sur la musique de Tchaïkovski, Onéguine nous procure qu’une seule envie à sa sortie: replonger dans la lecture et la musique de ce romantisme intemporel.
Edouard Brane (Twitter : Cinedouard)
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Onéguine
Musique de Piotr Ilyitch Tchaikovski
Arrangements et orchestration de Kurt-Heinz Stolze
Chorégraphie et mise en scène de John Cranko
Décors et costumes : Jürgen Rose // Lumières : Steen Bjarke
Les Etoiles, Les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet
Orchestre Colonne
Direction musicale de James Tuggle
Tarifs : 9€, 12€, 25€, 47€, 70€ et 92€
Réservation en ligne
Durée : 2h10 avec 2 entractes
Opéra Garnier
Place de l’Opéra
75009 Paris
M° Opéra
[Crédit photo: Michel Lidvac / Opéra national de Paris]
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