“On va faire la cocotte” : la vengeance des femmes selon Georges Feydeau
Jean-Paul Tribout a eu la judicieuse idée d’adapter la dernière pièce du dramaturge Georges Feydeau, inachevée en raison de sa mort. L’histoire d’un couple dont l’infidélité du mari pousse l’épouse à se rêver en “cocotte” libre de mener une existence érotique, délivrée des diktats infernaux de la morale bourgeoise. La comédienne Caroline Maillard campe une explosive féministe qui va faire valser avant l’heure tous les corsets : une savoureuse comédie.
Qu’est-ce qu’une femme ?
Pas grand-chose, si l’on en croit Georges Feydeau qui fait d’Alcide Trévelin le prototype du mari infidèle et injuste. À son épouse Emilienne, qui lui demande de rester à la maison alors qu’il souhaite sortir seul, il lance : “L’homme est un soutien pour sa femme, la femme n’en est pas un pour son mari, donc, il peut sortir sans elle.” Dans ce vaudeville qui concentre en quelques scènes fortement épicées la quintessence des obsessions de l’auteur et de ses réflexions sur la société et le couple, le lit conjugal trône au centre de la scène, envahi de bibelots et de commodes à tiroirs, d’armoires et de portes qui s’ouvrent et se referment. Pour simplifier la circulation des acteurs sur un petit plateau, la scénographie se limite ici à des caisses de bois dans lesquels les personnages entrent ou ressortent avec une fantaisie acrobatique. Un caisson pour le lit conjugal dans lequel chacun des deux époux Trévelin disparait chacun leur tour, un autre pour la porte donnant sur l’extérieur, etc. La vue de ces caisses qui s’ouvrent et se referment en hauteur donne un certain vertige, mais figure aussi l’enfermement cellulaire dans lequel on cloître des femmes qui ne demandent qu’à respirer.
Vengeance
La vengeance d’Emilienne, trompée par son mari mais alertée par son amie Olympe qui partage son sort, doit être à la hauteur du scandale de l’hypocrisie masculine. Si les hommes se payent des cocottes au lieu d’honorer au lit leurs épouses, il faut donc devenir soi-même une cocotte, une “grue” et se choisir un amant. Caroline Maillard campe avec beaucoup d’énergie et de drôlerie cette femme bien décider à réagir, belle et encore jeune, alors que son époux, Jean-Paul Tribout, qui a dans la pièce vingt cinq ans de plus qu’elle, va courir la gueuse sur les boulevards. Claire Mirande joue Olympe, sa meilleur amie qui passe son temps dans les placards ou derrière les portes pour épier les événements. Tiens, mais c’est le jeune homme du téléphone qui débarque, épatant Samuel Charle, tandis que la pulpeuse Julie Julien, en vraie cocotte, est appelée pour confondre le criminel.
Tout cela est mené tambour battant, sans temps morts, avec l’accordéon bienveillant de Dario Ivkovic qui nous promène délicieusement sur les montagnes de l’amour et du désarroi. On savoure le génie de l’auteur à peaufiner la moindre réplique et à faire mouche avec des saillies indémodables : “Tu me trompes cérébralement. L’infidélité de la femme commence au moment même où elle peut envisager sans horreur, la possibilité de se donner à un autre.” dit Trévelin à Emilienne, qui lui répond : “Oh ! alors ! à ce compte-là, il n’y a pas un mari qui ne soit pas cocu.” La messe est dite, et jouée avec une savoureuse et brillante fantaisie pour notre plus grand plaisir.
Hélène Kuttner
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