« On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie » : Eric Feldman et les traumatismes familiaux de la Shoah
Dans un spectacle unique, qui ne ressemble à rien de ce que l’on connait, le comédien Eric Feldman confie au public ses divagations légères et noires autour de la mémoire traumatique de la Shoah qui a envahi sa famille. Un stand-up assis insolite, émouvant et saisissant, sur un air de jazz, offert par un artiste à mi-chemin entre Buster Keaton et Woody Allen.
Hitler et Freud
Comment faire un spectacle autour de la mémoire traumatique de la Shoah ? Comment rire et faire rire d’Hitler et de Sigmund Freud, des dix commandements et de Serge Gainsbourg, quand on a une famille déchirée par une douleur mémorielle ? Eric Feldman, comédien dans le « Ça ira » de Joël Pommerat, a décidé de s’affronter à ses propres démons. Les effets de l’Holocauste agissant sur des générations suivantes comme des ondes radio-actives, ce petit-fils de déportés, dont les parents, les oncles et les tantes ont pu miraculeusement passer entre les griffes de la police française en se cachant, évoque sa difficulté à vivre sereinement. La conférence, comique et grave à la fois, qu’il nous délivre avec une grâce de funambule, s’amuse à surfer avec la tragédie quand il évoque la maman d’Adolf Hilter, où quand il rêve du dictateur nazi le matin, après une nuit d’amour avec une dame. Sigmund Freud, Isaac Bashevis Singer et son éthique végétarienne, Serge Gainsbourg et sa folie créatrice font partie de ce voyage qui commence sur un air de jazz et s’achève sur une complainte en Yiddish.
Yoga et Club Med
Il y a dans ce moment théâtral forcément très intime une liberté personnelle salutaire, celle de raconter les névroses perpétuelles, cocasses ou sombres, des survivants de cet accident de l’Histoire, contraints de survivre à des dizaines d’autres, parents, grands-parents, cousins, partis en fumée à Auschwitz. Ceux-ci avaient d’ailleurs choisi la France d’Emile Zola et de Victor Hugo après avoir fui les pogroms en Pologne. Alors Eric Feldman raconte, mis en scène avec finesse par Olivier Veillon, en cherchant ses mots, en jouant sur les mots aussi, en subtil connaisseur de la psychanalyse, dansant sur l’absurde destin de vies racontées et rêvées. Il raconte comment la psychanalyse lui a sauvé la vie, comment en acceptant la part de l’autre, l’altérité et la question de l’étranger en soi, il a pu remonter la pente de son existence, rire des démons du Mal et nous partager ses lectures de Thomas Mann.
Il sort des blagues aussi noires que l’humour juif, il nous raconte que le fondateur du Club Med, le Belge Gérard Blitz, souhaitait créer des « contre camps » dans les années 1950 en réponse aux camps de la mort. Il nous entraîne dans un yoga cosmique, indispensable remède pour les juifs, qui permet la détente et la respiration. La survie sans la tachycardie. Les loisirs sans sans capo ni contrainte. Une bohème intellectuelle et poétique sans enfants, même si on les aime, car on n’a pas fini de grandir et pas encore tout à fait fini de survivre. Sauve qui peut la vie. Pour ne pas oublier. C’est magnifique.
Helène Kuttner
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