Occident auThéâtre du Rond-Point
Occident De Rémi De Vos Mise en scène de Dag Jeanneret Avec Stéphanie Marc et Christian Mazzuchini Jusqu’au 6 avril 2014 Tarifs : de 11 à 28 € Réservation au Durée : 1h Théâtre du Rond-Point |
Un homme et une femme se jettent des mots à la figure comme des coups de poing. Plongée dans la haine, glaciale et sans oxygène, à la perfection.
Elle est pieds nus, vêtue d’une nuisette moulante qui lui arrive au-dessus des genoux avec un peignoir satiné qui laisse apparaître ses avant-bras. La femme, dont on ne sait pas ce qu’elle fait de ses journées, attend chaque soir le retour de son ivrogne de mari. Elle est presque impassible, le port altier, le mépris s’exprimant dans un infime étirement de lèvres, les gestes à l’économie, la démarche ferme, la sensualité toujours présente malgré – ou renforcée – par l’immobilité. Lui, le mari, revient chaque soir après avoir bu au Flandres ou au Palace, chemise mauve, pantalon noir, la tenue du type moyen qui trimballe avec cris et gesticulations son mal-être bien qu’il tente de le noyer dans l’alcool. Dès qu’il rentre, chaque soir, tout commence par « Putain… Salope… » et continue sur le refrain du racisme. Elle le sait, elle l’attend même. Chaque soir, elle répond au déversement grossier par des provocations, des regards froids et moqueurs, ainsi que des esquisses de sourire sadique. Elle vomit la dérive de son mari vers l’extrême droite mais elle l’entretient diaboliquement en prétendant qu’elle a fait l’amour tout l’après-midi avec des Noirs. Sur les rebords rehaussés du plateau, tous deux circulent en bêtes civilisées, avec une royale maîtrise de jeu et de déplacement. La scène est nue, la table de cuisine dans le fond, en formica peut-être, se laisse juste deviner par un liseré de couleur et surtout le bruit des coudes sur la table. C’est tout. Il n’y a rien de plus sur scène. L’homme et la femme, enfermés sur le plateau avec leurs munitions de mots, enchaînent les saynètes répétitives avec de simples variantes, toujours dans le même registre ordurier, jusqu’à la lie. Les épisodes ne sont entrecoupés que d’une musique de Vivaldi, aussi bien réglée que le texte et la mise en scène mais dans une tonalité totalement opposée, qui est celle de la légèreté parfaite du musicien. La force du texte tient à sa mécanique ultra-fine, composée de rouages minutieux, réglés au millimètre, chaque mot, chaque injure, chaque ponctuation étant juste et impeccablement placé. Derrière l’apparente répétition de séquences, au-delà des phrases de prime abord semblables, ce sont des différences subtiles et des nuances de velours qui font progresser le combat. Le metteur en scène Dag Jeanneret s’empare savoureusement de cette pièce dont il fait ressortir les aspects destructeurs en donnant à la grossièreté haineuse toute sa ciselure. Stéphanie Marc et Christian Mazzuchini sont des maîtres dans la technique du duel, ils manient la parole et le regard en jouant de la pointe, pointe des intonations, pointe de l’œil et du rictus. Le ravage au cœur de chacun et au sein du couple déborde sur l’extérieur et s’en nourrit également. La société est évoquée à travers les étrangers, les Yougoslaves et les Arabes, communautés livrées aux mêmes répulsions-attractions qu’un homme et une femme. Le processus de peur-désir-rejet est partout en marche. Le mari qui boit chaque soir avec ses copains étrangers parle ainsi de Mohamed avec une ambivalence semblable à celle qu’il éprouve face à sa femme. Et elle, comme Mohamed dont on comprend qu’il vire vers l’intégrisme, en rajoute dans le défi, choisissant de se définir en prostituée pour mieux rendre fou celui qui la désire. Un homme et une femme ainsi se cherchent et se dépècent à coups de mots, selon la même hargne que celle du racisme, chacun étant le fascinant étranger d’un autre. Le décorticage de ce qui porte à s’acharner contre celui qui dérange parce qu’il éveille la curiosité et le désir, ce minutieux décorticage est mené sans concessions. Il en devient extrême jusqu’à frôler la mort. A tel point qu’on pourrait en rire. Cela est en effet possible, on peut bel et bien en rire si l’on veut se défendre de la détestation ordinaire où aucun ne supporte l’autre mais ne peut s’en passer, déchaînant sa pulsion destructrice pour survivre et s’accrochant à la haine pour maintenir l’amour. Mais même si l’on s’en protège par le rire, la drôlerie ici ne sera pas exempte de violence inversée. Reste le titre de la pièce, énigmatique. Occident fut le nom d’un groupe d’extrême droite, c’est « là où le soleil se couche », dit avec humour l’auteur. On peut aussi tout simplement y voir le pointage du monde occidental. Celui-ci sans doute porte ses symptômes propres, sans pour autant absoudre l’autre hémisphère de pulsions similaires. |
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