Numéro d’objet – Mickaël Phelippeau
On a beau avoir appelé l’émergence de la danse contemporaine de cette période « nouvelle danse française », un lien plus qu’approximatif fait se réunir leur talent, propre, au service de chorégraphes aussi différents que Daniel Larrieu et sa poésie abstraite, ou Georges Appaix et son humour décalé…
Sauf que ces quatre femmes, comme tous les artistes, sont pour chaque création, chaque spectacle, détentrices d’un numéro d’objet, ce terme administratif utilisé pour déclarer juridiquement un spectacle. Sauf que ces quatre femmes transpirent, chacune à leur manière, un passé déjà riche, et une appréhension naturelle de ce qui va advenir, à l’heure où le jeunisme fait rage dans notre société privatisée. Sauf que toutes ont accepté la proposition de Mickaël Phelippeau de prêter leur voix et leur chair à une expérience unique de partage, de leur vécu, et, au-delà, de leur vision de l’avenir. Le passé n’est jamais, en cette épopée poétique, le lieu d’images d’archives froides et surannées. Il est plutôt charrié par leur mémoire vive, au présent. Comment, à ce jour, vivant encore en leur corps, les traces de leurs passages chez les chorégraphes qui les ont et qu’elles ont inspirés ? Comment envisagent-elles leur futur proche et lointain ? Comment se réunissent-elles autour d’un quatuor dansant sur une ritournelle macabre médiévale ? Comment la tendresse, le respect pour les êtres humains croisées ici et là, se lisent-ils dans leur gestuelle, nourrie de don de soi et d’écoute fine et sensible ? Comment projettent-elles su scène leur intimité suave et imaginaire ?
Face à ce spectre de questionnements, Mickaël, mû par son admiration pour ces quatre femmes, a structuré une pièce émouvante, touchante, sensible et subtile, autour d’une rencontre de parcours croisés. Mais plutôt au présent qu’au passé. Et, plus encore, au futur conditionnel. Autrement dit, l’interrogation se fait projection : comment, fortes de leurs années de travail, nos héroïnes d’un soir se voient à l’âge de 90 ans ? Sous cette question ludique qui tient du jeu d’enfant, apparaissent des images, des rêves, qui nous charment et nous transportent. Trois d’entre elles acceptent de chanter. Toutes acceptent de jouer le jeu du quadri-portrait. Autrement dit, le plateau se fait le lieu d’un partage poreux de parcours croisés. Un journal intime universel et collectif.
Le paradoxe de cette réunion émotionnelle pourrait consister en l’axe de travail de groupe. Mickaël Phelippeau intervient comme un guide, un Monsieur Loyal des numéros de chacune, pour révéler la grâce de leurs doutes actuels. Jamais, on n’a l’impression d’une œuvre figée, mais d’une improvisation concertée. Or on sait que notre équipe a travaillé sans relâche des mois durant, et, cependant, persiste un parfum candide de work in progress, force chansons, temps de parole, duos, trios, quatuors à l’appui. Voix enregistrées et en live mêlés, chairs à vif, jeux de mots, descriptions et projections chantent l’avenir, le temps qui reste, le « toujours » danser contre le constat cynique du « Vous dansez encore ? »…
On sort de la salle ému par la poésie lyrique de ces corps qui ont et vont toujours danser, s’interroger sur le monde à travers la chair, nourri de vestiges qui propulsent vers des lendemains lumineux, sans jamais arriver à déceler si le fruit du travail est peaufiné au millimètre près ou l’œuvre d’une fête instantanée…Qu’importe. Le plaisir est au rendez-vous.
Bérengère Alfort
Mickaël Phelippeau – Numéro d’objet
Du 27 au 29 mai 2011
Nouveau Théâtre/Salle Maria Casarès, Montreuil
Dans le cadre des « Rencontres Internationales de Seine-Saint-Denis »
[Visuel : montage : Mickaël Phelippeau]
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