Nosfell chante son « Corps des songes »
Dans un paysage de sable vert et de rochers fantaisistes, le chanteur dévoile ses tatouages. Un corps de danseur et des costumes de monstres peluches ou de bouc surréel. Le Corps des songes est un spectacle musical, chorégraphique et visuel, Fantasy et farfelu, chanté dans une langue imaginaire, composée sur mesure.
Il a une voix d’ange ou d’homme des cavernes, ça dépend des moments. Un drôle de Faune, ce Nosfell… De tatouages en peaux de bêtes, son corps fait des clins d’œil aux contes et aux légendes, aux rêves et à sa propre enfance. Malicieusement innocente, ce Rimbaud de la chanson actuelle fait résonner une langue inventée de toutes pièces qui remonte aux secrets intimes de son père et à une collection de rêves nocturnes que les deux partageaient pour mieux s‘émerveiller.
Nosfell chante aujourd’hui dans « une langue inventée dont la structure se calque, de mémoire, sur la prosodie léguée » par son père. Père qui n’est plus, mais continue à exister à travers ce Klokobetz, langue subliminale pour laquelle le chanteur a même inventé un alphabet graphique ainsi qu’une carte géographique toute aussi imaginaire. Bienvenue en Klokochazia ! La scénographie signée Nadia Lauro est à son tour la représentation d’un pays imaginaire avec ses rivières et des sortes de montagnes ou monuments, territoire de rêves doux ou effrayants que Nosfell va traverser pour essayer de s’y perdre.
Un conte pop. Cruel, musical et dansé
Il le veut « autobiographique et musical », d’autant plus que le côté vaguement asiatique de l’écriture klokobetze reflète les études du chanteur en langes orientales. Mais Le Corps des songes est tout autant « un conte cruel inspiré de [son] enfance, pop dans sa forme, onirique, chorégraphique et vocal. » Et justement, Nosfell met en jeu son corps, passant avec la même facilité d’accents aigus à accents grave que par sa voix. Tantôt Faune vigoureux, tantôt enfant proche de ses rêves, il donne corps aux songes par des masques et fourrures, à la fois effrayants et chatoyants.
C’est comme s’il venait taquiner le mythe de Vaslav Nijnkski en sa qualité de Faune devant l’éternel, image iconique de la modernité chorégraphique naissante. Nous pouvons y songer, nous sommes en droit de connecter ce récital chorégraphique à tous les univers qui nous passent par l’esprit, alors que Nosfell n’y va avec aucune prétention, cherchant son animalité, ses torsions sensuelles et ses paysages vocaux en son for intérieur. Uniquement. Sauf que…
Sexes et animaux
Entre en jeu le « regard chorégraphique » d’un certain François Chaignaud, actuel chouchou de la critique parisienne, lui-même danseur et chanteur ainsi qu’amateur des accoutrements les plus extravagants, gommant les clivages entre le masculin et le féminin. C’est exactement ce que réussit Nosfell, de la tête (masques de bêtes ou de singes) aux pieds (ne manquez pas ses diaboliques sabots de bouc !), en passant par la fourrure de gorille couvrant son torse. On reconnaît en tout cela l’esprit espiègle de Chaignaud, jusque dans certaines allusions sexuelles flirtant avec le 3e degré.
Sur la peau (oui, il enlève ses peaux de bêtes) du chanteur – performeur se dessinent des aplats verts qui nous renvoient encore à Nijinski. Cette poudre qui se colle sur le corps vient du sol, où la carte bucolique de la Klokochazia se transforme en terre brûlée, juste parce que le géant de Nosfell y traîne ses pieds. Entre les sculptures en pâte à modeler et les projecteurs qui semblent vouloir l’écraser, Nosfell est autant cosmonaute que spéléologue ou jardinier. Le Corps des songes est porté par un regard plein d’émotions sur l’enfance, libérant un imaginaire émancipatoire et apaisé qui sait s’amuser de lui-même.
Créé dans le cadre d’un festival de danse – C’est comme ça ! au Centre de Développement Chorégraphique National de L’Echangeur à Château-Thierry – Le Corps des Songes arrive au Théâtre de la Cité Internationale dans le cadre du programme transdisciplinaire New Settings de la Fondation Hermès, conçu par Catherine Tsekenis, qui est aujourd’hui la nouvelle directrice du Centre National de la Danse. De son côté, notre compositeur-chanteur si atypique n’est pas un inconnu dans l’univers de la danse, pour avoir joué et chanté dans certains spectacles du grand Philippe Decouflé.
Thomas Hahn
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